On l’a entendu plus d’une fois, cette clochette d’alarme lancée de tous bords et de tous côtés : les jeunes ne consomment plus de contenu québécois ! Certaines personnes vont même jusqu’à dire, comme la présidente-directrice générale de Télé-Québec, Marie Collin que « l’avenir de la culture québécoise est en péril » et qu’il y a urgence d’agir. « Si on continue dans une décennie, confie-t-elle à La Presse, on n’aura plus de consommateurs de contenu adulte. » Marie Collin est loin d’être la seule à tenir ce discours alarmiste, et le sujet est régulièrement couvert dans plusieurs médias québécois. Alors… Est-ce que la culture risque de frapper le mur ultime, celui d’un monde sans consommateur·rice ? Et surtout, peut-on penser cet enjeu de culture sans prendre en considération les pressions comme la délocalisation des productions, l’essor du numérique et de l’intelligence artificielle (IA), les coupures budgétaires en culture, et la tendance grandissante de la mondialisation des contenus qui pèsent de toutes parts ? La réponse, vous la voyez venir, est non. Et elle est plus nuancée que ça.

La télé n’est pas le seul problème
D’abord, les pendules doivent-elles être un peu remises à l’heure ? Peut-être. En parlant avec Magali Loiselle, directrice générale de l’Association des producteurs publicitaires (APP), les tendances en matière de consommation télévisuelle sont assez bonnes : « En observant de près le rapport de Think.tv de 2022 — donc en pleine pandémie, par exemple —, on doit admettre que malgré la grande compétition de contenus, la télé québécoise reste encore la grande championne à la maison, et ce, pour les 18 à 34 ans. » Selon la directrice de l’APP, il ne s’agit pas du seul enjeu. « Il y a présentement d’autres facteurs qui pèsent sur l’industrie audiovisuelle et publicitaire, précise-t-elle. Les budgets qui se réduisent et les demandes qui, elles, grandissent. Le meilleur exemple de ce phénomène est qu’un concept qui nécessite deux jours de tournage doit parfois être condensé en une seule journée afin de rencontrer les objectifs budgétaires du ou de la client·e. Ce qui crée une grande pression sur les horaires et la sécurité. Aussi, pour le même budget, on demande une énorme quantité de livrables. Bien que les membres de l’APP demeurent au-devant des nouvelles technologies en IA, il faut assurer la qualité de tous ces livrables. Tout cela a un coût. Ceci dit, les maisons de production indépendantes, par l’agilité de leur structure et modèle d’affaires, sont des partenaires clés pour répondre aux défis des agences et des client·e. » Un autre enjeu important selon Magali Loiselle concerne la tendance persistante à vouloir croire qu’un contenu peut être globalisé, alors qu’il a été prouvé à maintes reprises, notamment par Jacques Bouchard, « le vrai pionnier de la publicité québécoise », dans les années 1960, que des publicités qui reflètent la culture québécoise avaient un meilleur succès que les adaptations anglophones. Un débat qui donc n’est pas si actuel qu’il n’est que toujours présent. « Le Québec a toujours eu cet enjeu de devoir défendre sa propre culture locale. Jacques Bouchard l’a fait auparavant, et avec les géants GAFAM d’aujourd’hui qui agissent de manière déréglementée, on a affaire à une réactualisation de cet enjeu. »

Magali Loiselle
Magali Loiselle, directrice générale de l’Association des producteurs publicitaires (APP)

En creusant cette idée plus loin, force est d’admettre que la situation aujourd’hui est loin d’être idéale pour les productions audiovisuelles québécoises. N’en témoigne l’effort du ministre de la Culture et des Communications du Québec de créer un Groupe de travail sur l’avenir de la production télévisuelle et cinématographique québécoise en juin 2024. Le but ? S’adapter aux changements numériques, puis faire rayonner le Québec. Car les industries télévisuelles et cinématographiques aujourd’hui doivent jongler entre la mondialisation des contenus, l’essor du numérique (et la multiplication des formats), le désintérêt pour la culture locale et l’exode de productions vers Toronto et Vancouver. Dans ce contexte, des questions cruciales sont alors inévitables : est-ce que la délocalisation des productions est une menace qui pèse sur les productions publicitaires ?

Entre créativité locale et pressions internationales : le Québec doit (mieux) se défendreLa vraie question semble plutôt encore une fois être redirigée et nuancée, à se fier encore une fois au regard de Magali Loiselle. « Le Québec est reconnu à l’international pour sa créativité et sa capacité à produire des campagnes de qualité avec des budgets souvent limités. On le voit à Cannes, dans les concours internationaux et on voit des talents d’ici jouir d’une carrière incroyable. » Malgré cette reconnaissance, il arrive encore que le Québec perde des contrats importants au profit de Toronto ou Vancouver. Pourtant, dès qu’un client étranger fait l’expérience des équipes québécoises, la magie opère. Ce n’est qu’une question de positionnement. L’APP a à cœur cet enjeu et soutient l’AQPM dans ses efforts de miser sur la culture d’ici et maintient d’excellentes relations avec les syndicats comme l’AQTIS et l’UDA pour que le marché québécois, bien que réglementé, demeure compétitif. La culture ne peut pas être considérée en vase clos. Des publicités emblématiques produites par Cinélande (Le Lait) ou Gorditos (649) s’inscrivent dans notre culture locale et nourrissent de grands esprits créatifs leur permettant de réaliser des séries ou des films à succès au Québec. »

Impact sur la relève
La question du budget est en effet centrale dans toute production audiovisuelle. La publicité locale n’est pas seulement un outil de vente ; elle finance également une part importante de la production culturelle québécoise. Des réalisateur·rices et producteur·rices publicitaires, comme on en voit chez Téléscope Films, Les Enfants, L’Éloi ou Consulat, utilisent leur expertise pour propulser des projets créatifs d’envergure. Ces synergies permettent à des talents locaux de briller sur des scènes internationales, comme aux Oscars ou à Cannes. Cependant, cet écosystème est aujourd’hui sous tension. La mondialisation des contenus, amplifiée par l’avènement des plateformes numériques, a fragmenté les budgets publicitaires. « Les grandes marques internationales investissent de moins en moins dans des campagnes spécifiques pour le Québec, préférant des approches uniformisées », observe Magali Loiselle. Ce choix stratégique érode non seulement l’identité culturelle locale, mais il limite également les opportunités pour les créateur·rices québécois·es. « C’est comme dans tout, si l’industrie perd de grands projets d’envergures, alors les créatif·ves séniors restent sur les projets qui pourraient être attribués à la relève. Clairement, en moussant l’intérêt du Canada et de l’international à produire des publicités au Québec, on offre une chance unique à la relève de s’épanouir. »

Sur le terrain : de nouveaux défis, pas de nouveaux murs
En parlant de ces préoccupations à Dominique Dufour, vice-présidente production chez Septième, il va de soi que la nuance est encore une fois de mise. « Je rejoins le point de Magali. Le problème est multifactoriel et ne se résume pas uniquement à la décision de certain·es client·es de produire ailleurs. Il s’agit d’une situation plus complexe, impliquant une multitude de variables interconnectées qui influencent l’ensemble de l’écosystème. » S’appuyant sur ses vingt années d’expérience dans le milieu de la production audiovisuelle, Dominique Dufour constate que l’industrie a toujours eu beaucoup de mouvement et des défis à surmonter. « Des client·es qui envisagent de produire ailleurs au Canada, on en a toujours vu. Le véritable défi aujourd’hui réside dans la capacité de l’industrie à s’adapter à un ensemble de facteurs et à en tirer parti pour évoluer. » Or, tout comme l’alarme sonnée à la transition des médias du papier au numérique décriait la fin des journaux, et tout comme l’avènement des plateformes streaming ont « menacé » l’avenir de la télé, chaque fois, l’industrie de la publicité trouve le moyen de tirer son épingle du jeu. « La publicité, ça a toujours été en constante évolution, affirme-t-elle. Je pense qu’il n’y a jamais eu de période vraiment tranquille depuis que je pratique ce métier. Il y a toujours quelque chose de nouveau qui arrive. C’est une évolution continue, mais qui s’est clairement accélérée ces dernières années. Les investissements ont changé, et l’arrivée de l’intelligence artificielle a certainement provoqué des secousses. C’est une roue qui tourne sans arrêt. Honnêtement, les dernières années ont été plus difficiles à plusieurs égards. Mais, au fond, c’est ce qui fait tout le charme de notre industrie. Chaque jour est différent, et même quand on répète une tâche, on ne la réalise jamais exactement de la même façon. »

Dominique Dufour
Dominique Dufour, vice-présidente production chez Septième

À ce propos, si la vice-présidente production de Septième regarde la situation actuelle avec un regard positif, ce n’est pas seulement à cause de sa « tendance à l’optimisme », mais surtout parce qu’elle croit fermement à la mission au cœur de Septième. « Je pense qu’on s’en tire très bien parce que Septième, c’est la réponse qu’a eue Cossette à un marché qui évolue rapidement. Septième a été fondé précisément pour répondre aux besoins d’affaires des clients et s’adapter à un marché en constante évolution. Cette capacité à anticiper et à évoluer est ancrée dans notre culture. Avec l’accélération des besoins de la clientèle et le développement rapide des expertises, nous avons su incarner cette réactivité à travers chacun de nos projets et défis. Au fil du temps, nous avons également diversifié nos services et élargi nos expertises, ce qui nous permet de relever avec succès les défis de l’industrie. »

Des mesures mises en place
La conclusion ? Est-ce que toute la production publicitaire québécoise est outillée pour affronter des coupes budgétaires, des pressions sur les productions audiovisuelles, des délocalisations de productions, le numérique, l’IA et la tendance à la globalisation des contenus ? Comme pour n’importe quel milieu, la réponse est : oui, elle l’est, si les efforts des associations portent fruit. Magali Loiselle rappelle que l’APP supporte les offensives actuellement en place et menées par l’AQPM et le Ministère de la Culture pour soutenir les enveloppes dédiées à la culture locale et pour valoriser le rayonnement du Québec à l’international.