Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de l'organisation.

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J’aimerais tant vibrer pour le Club de Football (CF) Montréal. Frémir à chaque début de rencontre, jubiler à chaque mouvement d’attaque, exulter à chaque tir cadré. Mais je n’y arrive pas.

À quoi cela tient-il? À la piètre couverture médiatique du CF Montréal, et du soccer en général, qui empêche de nourrir la passion? Il est vrai qu’il me faut fouiller dans les médias traditionnels et en ligne pour dénicher de rares nouvelles du club montréalais. Et quand je crois avoir enfin trouvé une info palpitante, quelle n’est pas ma déception de voir qu’en général, le journaliste tire à la ligne, en recourant à du jargon du hockey pour décrire ce qui s’est passé sur le terrain. Mais ça n’explique pas tout…

Cela tient-il également aux piètres performances de l’équipe? C’est sûr, il est toujours plaisant de suivre une équipe qui gagne en faisant mentir les statistiques grâce à des dribbles fabuleux et autres frappes en pleine lucarne. Concernant le CF Montréal, il faut reconnaître que les occasions sont rares de s’emballer : par exemple, le nombre de tirs cadrés lors d’un match se comptent, en général, sur les doigts de la main. Idem, la qualification aux séries éliminatoires de la MLS est toujours aléatoire. Mais bon, quand on est un fier partisan, on aime son équipe, beau temps, mauvais temps. Ça n’explique donc pas tout non plus… 

En vérité, le problème est on ne peut plus profond, pour ne pas dire existentiel. Pour qu’il y ait passion, il faut que le cœur et les tripes vibrent. C’est là une condition sine qua non. 

Or, ni le cœur ni les tripes des Ultras, en temps normal les plus fiers des partisans, ne s’emballent pour le CF Montréal. C’est que nombre d’entre eux ont récemment pris la décision déchirante de tourner le dos à l’équipe montréalaise, ne parvenant pas à l’aimer comme ils aimeraient l’aimer, avec le cœur et les tripes. En septembre, le groupe 127 Montréal a déclaré que ses membres ne prendraient pas leur abonnement pour la saison 2025, après treize années de fidélité. Quant à lui, le groupe 1642MTL multiplie les manifestations de désamour, donnant notamment la consigne à ses membres de demeurer silencieux dans les gradins toute une mi-temps lors de certains matchs, histoire de plomber l’ambiance.

Le hic? Il tient au marketing du CF Montréal, me semble-t-il. Regardons ça ensemble. Tout d’abord, la vision que s’est donnée le CF Montréal : « être un moteur de rêves et d’émotions ». Franchement. Moteur + Rêves + Émotions : on se croirait dans une énième pub de char, où le conducteur béat circule au beau milieu de villes magiques ou de paysages plus photoshopés les uns que les autres. Non mais franchement. Qui peut penser à un match de soccer âprement disputé par des joueurs en sueur quand on associe ces trois termes-là? Personne.

Ensuite, considérons les cinq traits de la personnalité de la marque CF Montréal, tels qu’ils sont présentés sur son site web : « fière, authentique, résiliente, humble et confiante ». Le couac saute aux yeux : à peu près toutes les marques existantes sur la planète peuvent se prévaloir de ces cinq qualités-là ; elles ne permettent en rien au CF Montréal de se distinguer. 

Pour que les valeurs d’une marque soient à la fois véritables et originales, « il ne faut pas qu’elles aient l’air d’une carte Hallmark », note Sacha Lauzier-Bonnette, directeur de création de l'agence Orkestra, dans un récent billet de blogue. Mais voilà, vous aurez beau prendre le problème sous tous les angles imaginables, il vous sera impossible de concilier les deux, de trouver des valeurs à la fois véritables et originales, comme l’indique avec justesse Sacha Lauzier-Bonnette. En effet, par souci d’originalité, vous vous mettrez à chercher les valeurs les plus rares ou les plus tarabiscotées, des valeurs qui, inéluctablement, ne seront pas le reflet exact de ce qu’est votre marque. Inversement, la quête du véritable est irrémédiablement appelée à tuer l’originalité. 

La solution? Abandonner l’approche par les valeurs, lance Sacha Lauzier-Bonnette. Mieux vaut miser sur la simplicité, pour ne pas dire l’authenticité. « Un vrai bon positionnement de marque tient en un court paragraphe rédigé à l’aide de mots simples et évidents », estime-t-il. Le but de l’opération est de résumer l’essence de la marque, en soulignant les deux ou trois particularités qui lui sont propres. 

Prenons un exemple concret, celui du Paris Saint-Germain (PSG). Son site web consacre une page entière à son identité, et on y pioche ici et là des qualités qui pourraient aisément être présentées dans un court paragraphe : « Made in Paris », « le cap est fixé : gagner », « dream team », « soif de titres », « passion sans limite », « à cœur d’accéder au gotha planétaire », « dynamique », « engagé », « transpirer », etc. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais moi, je sens là du cœur et des tripes (on est loin du moteur, des rêves et des émotions).

À partir de là, les déclinaisons en matière de marketing peuvent être multipliées à l’infini, en ayant de fortes chances de viser juste à chaque fois. Un exemple frappant est ce drôle de vidéo posté en juin dernier sur Instagram par Adidas Paris, où le vendeur d’une friperie parisienne, joué par l’humoriste Malik Bentalha, est décontenancé par le succès soudain des produits Adidas. Défilent devant lui de véritables Ultras du club parisien, des influenceurs spécialisés dans le soccer, des artistes férus de mode vestimentaire et, pour finir, Ousmane Dembélé, l’un des attaquants vedettes du PSG. Tous sont en quête de raretés. Résultat? Plus de 47 000 mentions J’aime à ce jour, et un énorme buzz sur les médias sociaux, nombreux étant ceux qui ont salué le fait que les amoureux du PSG (partisans, Youtubeurs, artistes, etc.) y figurent vraiment « comme le 12e joueur de l’équipe ».

Bref, le marketing peut bel et bien permettre de tomber en amour avec un club de soccer, y compris avec un club qui n’est pas couronné de succès, à l’image du CF Montréal. J’en veux pour preuve ultime la merveilleuse aventure vécue par le Stevenage FC. Un beau jour de 2018, la direction du club a eu un appel étrange : Burger King voulait devenir son principal commanditaire. Au début, elle a cru à une méchante blague, car le club figurait alors au dernier rang du classement de la 4e division anglaise. Mais Burger King était on ne peut plus sérieux. L’explication était simple, elle tenait à une stratégie de marketing aussi intelligente qu’inédite.

Personne, ou presque, ne connaissait le Stevenage FC. Toutefois, l’équipe figurait parmi celles avec lesquelles les amateurs du jeu vidéo FIFA 20 allaient bientôt pouvoir jouer. L’idée de Burger King consistait donc à apposer son logo en grand sur le chandail de l’équipe véritable afin qu’il apparaisse en tout aussi grand dans le jeu vidéo.

Maintenant, comment faire en sorte que les amateurs de FIFA aient l’idée de jouer avec cette équipe? Eh bien, Burger King a créé le #StevenageChallenge. Ce défi encourageait les joueurs du monde entier à réaliser des prouesses techniques avec les joueurs de l’équipe, à s’affronter entre eux avec cette même équipe et à partager tout ça sur les médias sociaux ; en échange, des repas et autres breuvages gratuits chez Burger King. Il va sans dire que le défi est devenu viral, à l’échelle de la planète. Et la cote d’amour du Stevenage FC s’est mise à égaler celle des grands clubs anglais tels que Manchester City, Arsenal et Liverpool

Voilà. J’aimerais tant vibrer pour le CF Montréal. Être impatient, crier, transpirer et sauter de joie. Et dire qu’il suffirait d’un rien, d’un tout petit trait de génie en matière de marketing, pour que cela puisse se produire.