«On va tous perdre notre job à cause de l’intelligence artificielle!» On a entendu ce refrain à répétition dans la dernière année, avec l’arrivée des outils d’intelligence artificielle comme ChatGPT et Gemini. Qu’en est-il vraiment, de l’impact de l’IA sur le recrutement ? Sandrine Théard, fondatrice de l’organisation Les Sources Humaines et formatrice agréée en acquisition de talent, répond à nos questions sur le sujet.
Recruteur·es, candidat·es, employeurs
Ce sont les trois grands acteurs lorsqu’on parle de recrutement: les spécialistes en acquisition de talent, les candidat·es qui se cherchent un emploi et les entreprises et organisations qui offrent lesdits emplois. L’IA aura un impact différent sur chacun d’eux; à quoi peut-on s’attendre ?
Pour les recruteur·es, la présence de l’IA ne date pas d’hier, l’explique Sandrine. En effet, de grandes solutions qui utilisent l’IA sont déjà utilisées depuis une dizaine d’années. Les vrais changements, ce sont ses capacités et son accessibilité. En ce qui a trait aux capacités, l’IA générative d’aujourd’hui permet aux professionnel·les en recrutement d’automatiser beaucoup de tâches et d’agir comme un assistant virtuel. «En général, lorsqu’on est en RH, les techniques de marketing ou de vente ne font pas nécessairement partie de nos compétences. L’IA peut aider pour ça. Il y a aussi tout l’aspect de la rédaction: le syndrome de la page blanche, trouver des synonymes de titres, reformuler tes phrases.»
L’accessibilité de l’IA vient créer davantage de changements chez les candidat·es et les employeurs, donnant plutôt aux spécialistes en acquisition de talent une tâche d’accompagnement: «On a un rôle éducationnel dans les entreprises pour montrer comment on peut utiliser l’IA de la bonne façon. Un peu comme quand les réseaux sociaux sont arrivés, on voyait les entreprises qui refusaient l’accès aux réseaux sociaux alors que tout le monde y avait accès sur leurs téléphones. On voit la même chose avec l’IA aujourd’hui. Ce n’est pas de se dire si on y va ou pas, mais d’avoir un rôle pour dire comment on va y aller et comment on va l’utiliser.»
Sandrine Théard, fondatrice de l’organisation Les Sources Humaines et formatrice agréée en acquisition de talent
Recrutement basé sur les compétences
Pour les candidat·es, les possibilités de l’IA vont commencer à devenir de plus en plus intéressantes. Avec les outils générateurs de texte, on peut bien évidemment reformuler son C.V. et avoir de l’aide pour écrire des lettres de motivation, mais Sandrine ajoute que l’IA pourrait bientôt faire la recherche d’emploi à la place des candidat·es, et ce faisant, les aider à mieux se positionner: «Qui aime faire une recherche d’emploi et envoyer sa candidature? C’est compliqué, c’est plate, tout le monde à des façons de faire différentes. Si l’IA simplifie ça, tout en gardant les critères de base, et aider le candidat à avoir accès à des entrevues auxquelles il n’aurait pas accès habituellement, et bien tant mieux!»
Ce dernier point s’inscrit dans la montée du recrutement basé sur les compétences, une tendance bien indiquée par les experts, et l’IA en fait partie intégrante. Connu comme le skill-based hiring en anglais, le recrutement basé sur les compétences signifie porter plus de valeur aux compétences et aptitudes d’un·e candidat·e plutôt qu’à ses expériences de travail passées ou à son éducation. Des outils qui référencent les capacités des utilisateur·trices avec celles recherchées et citées dans les offres d’emploi avantagent donc ce genre de recrutement.

La productivité, à quel prix?
Il y a bien sûr des risques associés à toute nouvelle technologie. Un des premiers risques qu’identifie Sandrine face à l’utilisation de l’IA en recrutement, c’est la paresse intellectuelle: bien sûr, la technologie est là pour nous aider et automatiser certaines tâches, mais il ne faut pas non plus reléguer toutes les tâches de base à l’IA. L’intelligence artificielle peut faire bien des choses, mais plusieurs compétences intellectuelles, ou soft skills, sont inatteignables pour l’ordinateur. Les professionnel·les en recrutement ont donc encore un rôle essentiel à jouer, que ce soit grâce à leurs compétences de communication et de développement de relations ou leurs capacités de pensée critique et d’empathie. La gestion des données confidentielles est un autre risque à ne pas sous-estimer, ainsi que les enjeux éthiques d’usurpation de l’identité ; ces risques font autant partie du rôle éducationnel des recruteur·es auprès des entreprises que de la nature changeante d’une technologie en pleine évolution.
Sandrine apporte une autre nuance, un autre risque qu’elle entrevoit: celui de la surproductivité. «Un autre danger, c’est de ne plus avoir de pause intellectuelle. On est dans un mode ultra productif où l’IA enlève toute tâche à valeur non ajoutée, mais ces tâches-là font parfois du bien. Elles nous permettent de nous reposer la tête, et j’ai peur qu’on entre plutôt dans une ère de surproductivité, qu’on a déjà beaucoup, où le temps de tout le monde doit être très productif.» Et finalement, y a-t-il un risque de perte d’emploi ? «Oui, mais on va en créer d’autres, il y a des vases communicants quelque part. Ça fait partie d’une évolution, comme plusieurs autres nouvelles technologies auparavant. On ne peut pas faire comme si ça n’existait pas et continuer à faire comme avant.»