Une révolution numérique s’apprête à secouer le monde du marketing alors que Google annonce officiellement la fin des cookies tiers sur Chrome en 2024, après l’avoir repoussé à maintes reprises. Sachant que plus de 70 % des marketeurs numériques dépendent de ces données pour affiner leurs stratégies à travers le monde (Statista, 2023), les conséquences s’annoncent profondes tant pour les publicitaires que pour les marketeurs. Mais est-ce que les spécialistes en marketing et les entreprises sont bien préparé·es à la fin officielle des cookies tiers sur Chrome ? Et si la réponse est non, alors, comment tout mettre en place pour passer à l’ère du zéro cookie ?

La fin des cookies tiers sur Chrome ne fait pas que des perdants
Alors que plusieurs croient à la catastrophe, d’autres, comme la professeure au département de marketing de l’UQÀM, Sandrine Prom Tep, croient que la fin des cookies tiers n’est pas une mauvaise chose. En effet, cette évolution ouvre la voie à un «meilleur contrôle pour les consommateur·rices» et les place en tant que bénéficiaires principaux de ce changement de législation. «Le but, c’est de mieux protéger leurs données personnelles et leur donner un meilleur contrôle sur les méthodes de ciblage. Les nouvelles approches développées donnent un meilleur contrôle, sur une base consentie et choisie», souligne-t-elle.

Cependant, derrière cette démarche à l’apparence altruiste, les GAFA de ce monde (Google, Apple, Facebook, Amazon) semblent également tirer leur épingle du jeu, avec leur position déjà avantageuse et des écosystèmes de collecte de données tentaculaires, rapporte Sandrine Prom Tep. «Les autres grands bénéficiaires de cette fin des cookies tiers, ça risque d’être eux», déclare-t-elle, tout en soulignant que la régulation devient incontournable, marquant la fin d’une ère «far west» où l’exploitation et la récolte de données n’étaient pas du tout réglementées.

Il est clair que les conséquences se font sentir dans l’industrie publicitaire, puisque ce changement dans le numérique crée une nouvelle responsabilité face aux données qui semble être devenue une norme. «C’est comme l’écoresponsabilité, ça parait mal de dire qu’on est contre ça. Il s’agit d’un mouvement qui se mêle dans les mœurs, qui marque un changement de paradigme», explique la professeure Prom Tep. Mais les GAFA ne sont pas les seuls à savoir tirer leur épingle du jeu, assure la professeure. Pour les plus petits acteurs, la transition sera moins abrupte si une solide stratégie de contenu a déjà été mise en place. «Les joueurs plus modestes, déjà ancrés dans le marketing de contenu, pourront également offrir des expériences personnalisées de qualité, et se tourner vers des alternatives plus diversifiées», précise-t-elle. Une recommandation également appuyée par la stratège principale - Données & Intelligence chez Tink, Dominic Villiard. «Les entreprises plus vulnérables sont celles qui n’ont pas de liens directs avec leur clientèle, donc pas de données primaires à utiliser, parce qu’elles s’appuient complètement sur des données tierces (third-party) pour comprendre et rejoindre leurs client·es. Ces organisations sont donc plus dépendantes des solutions proposées par les plateformes publicitaires, les agences et les fournisseurs de technologies. Chose certaine: en 2024, les données primaires sont définitivement reine ! Or, je doute que la majorité des entreprises ait une stratégie de données en place pour collecter et exploiter leurs données primaires selon leurs objectifs d’affaires. Oui, définir une stratégie de données peut être un défi en soi, mais le jeu en vaut la chandelle, puisque ce travail permet d’obtenir un avantage concurrentiel.»

cookies 1Sandrine Prom Tep et Dominic Villiard

Fin des cookies tiers, nouvelles opportunités
Plus encore, la stratège nous avertit de ne pas tomber dans le piège de chercher une alternative comparable aux cookies tiers, car ce serait une erreur de tenter de remplacer les cookies tiers par une solution similaire. «Avec toutes les restrictions technologiques, les lois, les réglementations et les préoccupations des utilisateur·rices en matière de vie privée, il est grand temps de penser différemment. Et surtout, il importe d’établir des bases plus durables pour faire face à cet écosystème des plus changeants!»

Mais qu’entend-t-on par établir des bases plus durables ? «Plus que jamais, explique Sandrine Prom Tep, l’exploitation des outils analytiques revêt une importance cruciale, car elle repose sur la trace numérique laissée par les utilisateur·rices. Il faut se rappeler que c’est cette capacité à sortir des anciens modèles publicitaires pour embrasser le changement qui a fait la force du numérique. Alors, non, il n’est pas question de chercher une alternative similaire aux cookies tiers, mais plutôt de rechercher la stratégie la plus complète, durable et fiable à disposition. Et pour ce faire, il est essentiel de ne pas négliger l’impact significatif des outils analytiques et des bonnes analyses de ses propres données, car c’est en connaissant bien ses utilisateur·rices qu’on arrive à raffiner ses stratégies.» En effet, les responsables marketing ont davantage intérêt à réorienter leurs investissements vers la création d’une relation client durable et basée sur la confiance, appuie Dominic Villiard. «Comme mentionnée plus tôt, la disparition des cookies tiers ne fait que confirmer davantage la valeur inestimable des données primaires ou propriétaires (first-party data), que les marketeurs récoltent directement auprès de leur audience (collecte de courriels, données comportementales sur un site Web, historique d’achat, programme de loyauté, etc.). C’est l’analyse de ces données qui permet d’acquérir une meilleure connaissance de leur clientèle.» Mais il existe de nombreuses stratégies pour personnaliser l’expérience des utilisateur·rices. «La règle d’or ici est d’obtenir le consentement des utilisateur·rices pendant la collecte de ces données primaires, précise la stratège principale - Données & Intelligence chez Tink. Pour ce faire, ces utilisateur·rices doivent voir un bénéfice tangible à partager leurs données.»

Et Privacy Sandbox dans tout ça ?
Rappelant que les cookies tiers ne sont plus sur Safari et sur Firefox déjà, Dominic Villiard indique que la Privacy Sandbox (développée par Google) pourrait aussi s’avérer une solution intéressante pour les utilisateur·rices de Google Chrome. «Il s’agit un peu du même principe que le ciblage contextuel puisqu’il classe les sites par thèmes et intérêts. Toutefois, la Privacy Sandbox soulève encore plusieurs préoccupations concernant le respect de la vie privée, ainsi que le niveau de performance et de dominance de Google.»

Or, comme rien n’est encore clair et que la Privacy Sandbox est encore en développement, il semble difficile pour l’instant de se replier vers cette option de Google. Sandrine Prom Tep prévoit toutefois que la Privacy Sandbox a le potentiel d’être une alternative intéressante, affirmant cependant qu’elle est toujours en développement. «Elle se profile comme une direction prometteuse, bien qu’imprécise encore dans ses définitions finales et les technologies qui seront adoptées. Ce qu’on peut en croire, c’est qu’à l’intérieur de cette «sandbox», des concepts tels que le Floc, le Turtle Doc, et les trust tokens évolueraient, représentant une nouvelle approche où l’identification des utilisateur·rices se fait sans les révéler directement, décentralisant ainsi l’information. Cette démarche présente une autre facette dans la préservation de l’anonymat, soulignant l’importance de respecter toutes les parties prenantes dans cette quête de solutions alternatives aux cookies tiers.»

Intelligence artificielle, ciblage contextuel, segmentation… les vraies solutions sont là (il suffit de les mettre en place)
La fin des cookies tiers sur Chrome fait le tour du web, et les gens ont l’air de craindre la fin de cette ère. A-t-on raison de s’inquiéter ? Oui et non, selon les deux spécialistes marketing interrogées. À leurs yeux, les solutions sont là, il suffit simplement de les développer. «On pourrait dire que “we got fat and lazy on cookies”, affirme Dominic Villiard. Les cookies tiers étaient autrefois une solution simple pour cibler les consommateur·rices sur le Web. Elle a toutefois créé une dépendance technologique au détriment de la qualité des données et du respect de la vie privée des utilisateur·rices.» Or, on peut aujourd’hui se tourner vers la segmentation et la personnalisation, comme le conseille Sandrine Prom Tep, mais, une chose est certaine: se concentrer sur les données primaires est un peu la clé ici, indique la stratège de Tink. «La première stratégie à mettre en place est de miser sur les données primaires pour offrir une expérience personnalisée et se défaire de notre dépendance aux cookie tiers. De plus, toute solution d’intelligence artificielle à venir pour remplacer les cookies devra se baser sur des données de qualité, et les données primaires représentent la meilleure source. La disparition des cookies tiers entraîne aussi le retour en force du ciblage contextuel et du média de détail (retail media), qui est la version e-commerce du ciblage contextuel et fait ainsi la promotion de produits ou de marques directement sur les sites de commerces comme des distributeurs ou des épiceries par exemple.» Ce ne sont là que quelques autres exemples de solutions viables pour les publicitaires.

En terminant, la professeure Sandrine Prom Tep rappelle qu’en explorant des stratégies de contenu solides, les entreprises arriveront à trouver les alternatives aux cookies tiers qui leur conviennent le mieux. «Ce pas de recul de notre industrie est bénéfique pour tout le monde, ça va peut-être prendre un temps avant de s’en rendre compte, mais le domaine du marketing en est un de créativité, et rien ne peut résister à des têtes pensantes qui savent comment réagir et s’adapter face au changement.»

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