Écrire, survivre, vivre. Des passe-temps que répète un jour à la fois la poétesse et conceptrice-rédactrice chez Sid Lee, Gabrielle Regimbal, atteinte d’un cancer métastatique. Celle qui a toujours aimé jouer avec les mots publie aujourd’hui son tout premier recueil de poésie empreint de vitalité, de déchirements et de force, La-Z-Boy résurrection, aux Éditions Mains libres. 

Gabrielle Regimbal
Crédit photo : Gabrielle Lacasse

Des tableaux avec des mots
Est-ce une avenue surprenante, celle de la poésie, pour une créative maintenant aguerrie en publicité ? « Pas tellement, non. La poésie s’est imposée dans ma vie comme une nécessité, raconte Gabrielle Regimbal, c’est à la fois un appel à la parole, mais aussi un besoin d’exprimer des émotions qui vivent à travers des images. Ce qui me fait penser qu’au fond, la poésie n’est pas très loin de la publicité conceptuellement parlant. On cherche à capturer l’essence d’une idée dans une économie de mots… On crée quelque chose de court, comme on en fait l’exercice en publicité. On travaille le rythme, les images… J’aime ce travail de la forme et de l’économie, pour moi, il y a vraiment quelque chose de stimulant sur le plan créatif. La poésie rejoint peut-être aussi la pub à ce niveau où elle arrive à créer quelque chose de paradoxalement aussi épuré que chargé. » Et la poésie, c’est une forme qui permet de mieux dire les choses qui ne se disent pas ou qu’on ne se permet pas de dire ? « Les deux, je dirais. Au-delà du tragique de mon histoire, il y a une volonté d’en faire quelque chose de beau, de fort, et je crois que la poésie a le pouvoir de soutenir ces intentions-là. » Quelque chose comme soutenir l’insoutenable ? « Oui, de mettre en images surtout. Quand j’écris, je vois des tableaux, je visualise des mots qui tranquillement créent une forme. J’ai l’impression que je m’exprime beaucoup mieux via la poésie, comme si c’était par là que je trouvais le chemin vers la sincérité. C’est un peu ce qui se passe dans le recueil, je transmets des pensées complexes ou des sentiments profonds par le biais d’images poétiques. C’est très thérapeutique, l’écriture, et ça, c’est tout aussi vital pour moi d’arriver à mettre en mots et en images ce qui me serre le ventre, ou ce qui me donne la force de vivre un jour à la fois. » 

De la lenteur à l’économie
Cette idée du rapport au temps traverse d’ailleurs tout le recueil. « Il y a un rythme très travaillé dans ma poésie. J’ai consacré beaucoup d’efforts à créer des poèmes qui incarnent le rythme de la lenteur, de l’attente, et du sentiment d’être en marge de cette vie imprégnée du quotidien qui file à toute vitesse. C’est comme si la poésie m’offrait un espace pour apprivoiser le temps, pour marquer une pause et sentir chaque seconde s’étirer, tandis que le monde continue sa course effrénée autour de moi. Parce que la poésie aspire à l’économie, c’est aussi une manière pour moi d’exprimer comment je fonctionne avec mes traitements et ma maladie, qui me forcent à économiser mon énergie. C’est un parallèle assez important de reconnaître l’importance de ménager ses forces, d’utiliser intelligemment le temps comme les mots. »

Le principe du la-Z-Boy et de la résurrection
De par le titre seulement, on devine déjà que la plume est directe et vive dans La-Z-Boy résurrection. Ce titre sonne bien, c’est ton idée ? « Oui, et en fait, c’est tiré d’un vers du recueil : Dans un La-Z-Boy résurrection / j’avale par le bras. Au début, mes éditeurs n’étaient pas certains du titre, ils trouvaient que ça faisait trop publicitaire, explique en souriant Gabrielle Regimbal. Mais quand j’ai expliqué ce qu’il représentait, pour le recueil et pour moi, ils ont vite changé d’idée. » Et qu’est-ce que ça exprime ? « C’est très chargé pour les personnes atteintes de cancer, c’est même un peu un code entre personnes malades. Le La-Z-Boy revient constamment dans mon quotidien, c’est sur ça que je reçois mes traitements, et il représente tellement de souffrance. » Et la lenteur aussi ? « Peut-être plus l’aspect passif de devoir “affronter” (je n’aime pas trop le mot “battre”) une maladie de manière passive. Quand tu reçois les traitements, tu es assise pis tu attends que la résurrection se passe. Le La-Z-Boy c’est aussi une image qui n’est pas jeune et hip, tout comme les stigmates liés au cancer, ça détonne avec ma jeunesse. » Justement, la résurrection, elle s’explique comment dans ton recueil ? « Le but de la chimiothérapie, c’est un peu d’attendre de se faire sauver et d’étirer sa vie. Pour moi, La-Z-Boy résurrection c’est une image qui représente et le cancer et l’espèce d’espoir qui vient avec les traitements. L’espoir de renaître, parce que oui, un cancer, ça te transforme dans tous les sens du terme. »   

L’écriture qui permet des éclaircies à la mère, à l’amoureuse et à la créative
Sur la quatrième de couverture, on peut lire ceci : « C’est aussi le recueil d’une mère et d’une amoureuse, nous donnant accès à un fils, moteur salutaire qui berce, et à la bouche de l’amoureux qui permet les éclaircies. » Outre la beauté troublante de ces mots, comment est-ce que ces relations importantes se traduisent dans ta poésie ? « Par la force… Mon fils m’aide beaucoup à rester dans le présent, dans ses yeux à lui, je ne suis pas malade, je suis sa maman. C’est toutes mes forces mon fils, et c’est pour lui que je m’agrippe à la vie comme je le fais avec les mots. Il faut comprendre que le futur pour moi, c’est dans le maintenant. L’écriture capture bien cette idée aussi, de baisser les voiles et de sortir du regard des autres. » Et l’entourage ? « Je suis vraiment reconnaissante du support que j’ai autour de moi. La force de l’entourage, c’est puissant. D’ailleurs, le monde de la pub a été très présent pour moi. Chez Sid Lee, je ne peux pas dire combien l’équipe a été généreuse avec moi de toutes sortes de manières. Juste le réseau de talents auquel on a accès quand on est dans ce domaine, c’est hallucinant. J’ai eu la chance d’être épaulée par des créatifs et des créatives que j’admire et ça m’inspire tellement. » Sûrement que si autant de gens te supportent, c’est parce qu’ils et elles voient également tout le talent que tu as en toi ? « Peut-être. Et c’est peut-être aussi ce que je voudrais que les gens retiennent, c’est probablement névralgique à dire, mais je voudrais qu’en lisant La-Z-Boy résurrection, les gens voient au-delà de la maladie, et voient l’autrice qui aime fignoler, travailler le brut, les mots. » 

Parler du cancer métastatique
Enfin, le recueil parle quand même d’un sujet peu abordé. « C’est vrai. On ne parle pas beaucoup des cancers de stade 4. Le cancer du sein métastatique, c’est pas non plus quelque chose dont on parle beaucoup, parce que c’est peut-être trop sombre, je ne sais pas. J’en parle avec d’autres femmes qui vivent cette situation et mon constat, c’est qu’il y a souvent de l’innommable, alors… Si mes mots peuvent trouver écho, c’est pour ça que je le fais. » Tu travailles aussi à défaire certains stigmates liés au cancer ? « En fait, pour moi, c’est important de parler du quotidien de la maladie. Il y a des jours où je suis en traitement le matin, et le soir, je vais chercher mon fils à la garderie. Oui, il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais c’est ce que je veux qui ressorte du livre, c’est qu’on peut arriver à avoir une vie quand même. C’est une vie différente, mais ce n’est pas impossible de vivre. » 

La-Z-Boy résurrection est publié aux Éditions Mains libres et paraît le 8 novembre 2023. 

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à même la chair
je cherche ma faute
ce destin sans élégance
histoire qui ne se termine pas bien
horloge informe au poignet
j’enfile mon costume
survivre est un passe-temps
que je répète un jour à la fois
en bonne élève cancéreuse

La-Z-Boy résurrection

La Z-boy
Crédit : Éditions Mains libres

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Témoignages d'ami·es et de collègues

«Depuis le début Gab a cette volonté de vivre une vie « normale » mais sans nier la colère et la fatigue qui l’habitent. Son talent, qui a cohabité avec cette épreuve qu’elle porte depuis déjà trop longtemps, a été porteur d’un ouvrage puissant. Écrire entre chaque traitement de chimio pour aujourd’hui en faire un livre publié, c’est un exploit commensurable. Je suis sans mot devant ce rêve qui devient réalité. Ça me remplit de fierté et d’espoir !» - Shanie Poliquin

«On dit souvent que certaines personnes qu’on rencontre par le biais de son travail deviennent plus que des collègues. Dans le cas de ma partner Gabrielle, c’est une sœur que j’ai eu la chance de trouver. À travers son épreuve, Gab trouve encore une façon de nous subjuguer par son talent, son courage et sa force. Comme elle a su me le dire si souvent, quand je ne trouvais pas les mots pour la réconforter : » il n’y a pas de mots, Simon. » Mais toi, Gab, tu as su trouver les mots pour nommer l’innommable. Je ne te dirais jamais assez comment je suis fier de faire partie de tes amis.» - Simon Caspar


«Notre première fois à Gab et moi ça a été un soir, au Petit Agrikol après un offsite de création. J’ai eu un coup de cœur instantané pour cette magnifique femme, drôle, brillante, talentueuse et tellement le fun. On a passé la soirée à jaser, à rire, à manger et à danser. Ça en était fait, on était devenue amie et depuis, jamais on ne s’est lâché. J’ai une admiration sans bornes pour cette femme que j’ai la chance d’appeler mon amie.» - Isabelle Brosseau


«Gab, c’est un exemple de résilience, de courage et de positivisme. Je connais peu de gens qui auraient la force d’être encore debout après tant d’épreuves. Non seulement debout, elle continue à nous montrer tout son talent, son amour et sa persévérance, à tous les jours. C’est pas peu dire, elle continue de m’envoyer des idées et du feedback sur les projets qu’on développe chez Sid. J’en suis épaté en même temps que touché, chaque fois (sans parler que c’est toujours si juste dans ses commentaires). Ceci résume à la perfection la qualité de cet être humain qu’on aime tant.» - Alex Bernier


«Paul-Emile et Lucie sont nés à quelques jours d’écart en mai 2020. J’étais alors la maman expérimentée, celle qui partageait son vécu avec Gab, la nouvelle maman. On échangeait sur les dédales de la maternité, l’accouchement, l’allaitement, la DME, les bébés qui ne dorment pas… Me revoici en 2023 complètement admirative par la femme qu’elle est, devant ses mots coup de poing, témoignant de son vécu percutant et de son destin plus grand que nature. Je t’aime Gab.» - Ariane Poitras


«Il y a des gens que l’on croise sur notre chemin qui nous transforment, qu’on aime tout de suite et qu’on veut garder près de soi. Quand j’ai rencontré Gabrielle, il y a de cela 12 ans, je me suis d’abord demandé pourquoi il n’y avait pas d’accent sur Regimbal mais j’ai surtout découvert une fille avec une drive de fou, un humour contagieux, un grand talent créatif et une personne qui me ressemble quand même pas mal. D’une collègue, tu es devenu une grande amie, une maman… une petite sœur. Merci d’être-là. Je t’m. Courage soldat !» - Pascal Tremblay