Le bec c’est, d’abord et avant tout, des gens de cœur qui ont eu – et ont encore ! — la volonté de mettre l’épaule à la roue de l’entraide. Sans cette poignée de personnes animées du désir d’aider, on n’en serait pas ici aujourd’hui, à souligner l’important jalon qu’est d’atteindre 20 ans.
Parmi ces alliés, Daniel Rabinowicz et François Canuel.
Rabinowicz, c’est le genre d’homme qu’on souhaiterait autant avoir comme chum, comme boss ou comme grand-père. Humble comme pas d’autres. Drôle — mais, drôle ! Et pourtant si sérieux. Rigoureux. Réfléchi. Un sage homme de qui on a envie d’apprendre. Un homme par qui on a envie d’être respecté. Un grand homme, quoi.
Canuel, lui, c’est le genre d’homme qu’on aurait pu retrouver dans les rangs de d’Artagnan ou, toujours autrefois, aux côtés de Robin des Bois. C’est un vrai gentil. Un homme pur. Un homme bon. L’œil coquin, mais sans malice. Un homme toujours prêt à partager un rapport complice. Un homme en qui on a immédiatement confiance. Un sacré bon leader, quoi.
Jadis collègues, toujours amis et encore parfois mentor et mentoré ; il allait de soi d’aller à leur rencontre à l’occasion d’un dossier portant sur le bec ; portant tous deux cette mission à bout de bras.

Qui a eu cette idée folle d’un jour inventer le bec ?
Bien que le nabs existe au Canada anglais depuis 1983, le bec n’a vu le jour que 20 ans plus tard. C’est à Daniel Rabinowicz que revient l’idée. Ayant quitté Cossette à la toute fin de 2001 (après 17 ans de service, quand même !), il accueillit cette période de transition professionnelle en s’interrogeant: «Now how do I give back?» Ayant côtoyé le milieu d’agences anglaises où la mission du nabs était mieux connue qu’en terrains francophones, l’ex-associé principal de l’agence créative connaissait depuis longtemps l’existence du nabs. «Je me suis dit: ça n’a pas vraiment de bon sens qu’ils ne soient pas là au Québec!, lance-t-il à la blague. Faut dire aussi qu’à l’époque, j’avais du temps. Je n’étais pas employé à temps plein. Je faisais deux choses: j’enseignais au DESS en communication marketing au HEC et je faisais un peu de consultation. J’avais donc beaucoup de temps, autant pour réfléchir que pour agir, poursuit Daniel. Alors un jour, je me suis informé à savoir qui dirigeait nabs et je l’ai appelé, out of the blue. Je me suis présenté, je lui ai dit un peu qui j’étais et que j’étais disposé à mener l’implantation du nabs au Québec.» Il eut le go.
Ça ressemblait à quoi, en 2003 ?
Le premier dossier qui pressait selon Rabinowicz était de redéfinir la nomenclature, pour s’adapter au marché du Québec. Publicis se rendit disponible pour prendre le mandat de branding et c’est elle qui arriva avec l’appellation du bec. «J’aimais beaucoup d’idée du “bec” ! Bon… bénévolat d’entraide aux communicateurs, ça a mal vieilli (rires), mais à l’époque, ça faisait la job. Et surtout, ça justifiait le bec comme marque.» S’étant engagé à s’investir comme bénévole et à trouver d’autres bénévoles pour essayer de démarrer quelque chose ici. À la suite du baptême, ses efforts ont été mis pour recruter des gens du milieu afin de former un premier comité dirigeant, et le travail débuta. De fil en aiguille, plusieurs petits pas de communications plus tard, le bec commença à se faire connaître par quelques agences de pub et certaines compagnies médiatiques. En 2004, Daniel accepta un poste à temps plein chez Taxi Montréal et apporta avec lui le mandat du bec. C’est à partir de ce moment, très tranquillement, que le bec bâtit sa réputation et se mit à intervenir dans plusieurs cas de gens de la pub dans le besoin.
Mais qu’est-ce qui distingue donc le milieu comm-marketing d’autres industries professionnelles ?
Nos deux interviewés s’entendent: ce sont d’abord et avant tout des métiers prenants dans une culture de travail prenante. «C’est une industrie exigeante envers soi et envers les autres, et je pense que ça teinte le type de gens qui en font partie, lance François. On y retrouve beaucoup de créativité, beaucoup de passion et l’engagement des gens dépasse souvent les limites humaines.» «Une job en pub, c’est où t’es payé pour avoir du fun, réplique Daniel. Quand j’ai pris connaissance du nabs durant les années 80, le stéréotype de la personne qui y faisait appel, c’était un créatif avec une dépendance à la cocaïne» admet-il. Et comme tout bon cliché, un grain de vérité réside souvent derrière les généralisations. «On voit un mouvement plus positif au travers des dernières années, une nouvelle génération qui prend mieux soin de soi», affirme Canuel. Malgré les efforts implantés et renouvelés des organisations à promouvoir un sain équilibre, l’idée du work hard, play hard est quelque chose qui revient. Après de longues et stressantes heures au bureau à travailler comme des dingues sous pression, on peut imaginer l’émergence du désir de soupape en se lâchant lousse. Mais la notion de la carotte, de la récompense, elle aussi est récurrente. Industrie d’adrénaline junkies où reconnaissance et la gloire sont souvent les objectifs, quoique sans conséquence… À une époque où on en demande beaucoup de nos gens, de nos artisan·es, les trophées peuvent être une médaille à l’amer revers. «Plusieurs personnes peuvent se ramasser dans des situations difficiles, en désarroi personnel et sans oublier les malchances, de maladie, par exemple» nous dit Daniel. La santé mentale, on en parle davantage aujourd’hui, mais pas avant. On ne parlait pas de ça. C’était mal vu de dire que t’étais en burn out. Et pourtant, une tonne de gens se retrouvaient — et se retrouvent — dans des situations comme celle-là. Quand tu ne peux pas en parler ; tu te retournes vers qui?». Chose certaine, c’est que tu peux te retourner vers le bec.
Le Québec recense le plus haut taux d’utilisation de la ligne d’assistance parmi toutes les provinces canadiennes. Pourquoi en est-il ainsi ?
Pour François, il s’agit bien entendu d’une multitude de facteurs et dont la majorité est de la spéculation parce qu’on ne le sait pas vraiment, le pourquoi. Notoriété ou propension latine de la Belle Province? Plusieurs raisons viennent à l’esprit. «Selon moi, on a une plus grande proximité avec nos émotions… Ou peut-être de moins grands tabous à en faire part, à s’ouvrir. En fait, je souhaite que ce soit ça, pense-t-il à haute voix. On va peut-être trop loin, plus loin que nos limites, mais on en prend conscience et on n’attend pas trop longtemps avant que ça dégénère, poursuit-il. C’est peut-être aussi toutes ces autres campagnes liées à la santé mentale qui nous touchent beaucoup et nous font réaliser que, des fois, on a juste besoin d’un peu de support. Je le vois chez plusieurs générations en ce moment: le partage d’expériences. Cette démocratisation d’information participe sûrement, elle aussi, à notre propension à aller chercher des ressources externes pour aller mieux.»
Le bec, encore in ou démodé?
Pour nos deux hommes phares, malgré la philosophie sociétale qui se transforme et progresse vers un désir d’équilibre harmonieux entre les sphères d’activités de nos vies, le bec a encore sa place dans l’industrie d’aujourd’hui. «On est sur le bon chemin, mais on doit continuer à évaluer, surveiller et écouter notre monde, dit François. On est encore dans une industrie de passionné·es avant tout qui se donnent, et donnent plus que ce qu’on demande. Ça a encore un impact sur notre santé mentale, et ce, de manière importante. C’est sûr que j’aimerais mieux dire que je rêve du jour où [le bec] n’existera plus et où l’on aurait tout réglé, mais ça, c’est de l’utopie. De savoir qu’on s’est créé, comme industrie, un genre de p’tite veilleuse, c’est rassurant pour maintenant et pour l’avenir de notre communauté.» Même son de cloche chez son mentor, Daniel, qui juge que le bec est encore très pertinent et que les besoins sont là plus que jamais. «La mentalité work hard play hard a changé. Plusieurs compagnies ont désormais des règles d’opération faites pour favoriser le bien-être des employé·es, par exemple. Ça a évolué, mais ça demeure un milieu exigeant. En plus, le phénomène boom and bust cycle actuel laisse les gens dans des situations difficiles. C’est tough. Le stress doit être bien réel dans bien des cas, et le bec sert [entre autres] à ça. »
EN DEUX MINUTES:
Si un génie vous octroyait un vœu à réaliser pour le bec et la communauté qu’il dessert, quel serait-il ?
Daniel: Celui que les dirigeant·es des entreprises, dans tous les segments de notre industrie (boîte de prod, médias, agences, etc.), réalisent à quel point c’est un milieu particulier et investissent dans le bien-être de leurs employé·es.
François: Que le bec soit la référence en termes d’organisme qui prend soin de sa communauté. J’aimerais que d’autres industries voient le bec comme assez exceptionnel pour prendre exemple.
Si vous pouviez donner un conseil à petit vous du passé, quel serait-il?
Daniel: Mets de l’eau dans ton vin par rapport à l’aspect party de la business ! Dépense moins d’énergie dans les partys et investis plus dans ta vie personnelle.
François: C’est possible de faire de l’extraordinaire — ou même de l’exceptionnel ! — sans pour autant que ce soit au détriment de trop gros sacrifices.