Vite vite comme ça, où puisez-vous vos nouvelles outre le Grenier ? ;) Êtes-vous plus traditionnel·le ou embrassez-vous à fond l’ère du numérique ? Pour rester pertinents dans le paysage numérique — et s’adapter aux nouvelles habitudes de consommation —, les médias traditionnels n’ont pas d’autres choix que de réinventer leur approche.

Formats revisités
Paru en mars 2023, le rapport Vers la maturité numérique des entreprises de la presse d’information écrite au Québec de l’Académie de la transformation numérique souligne que «les entreprises de presse se sentent dans l’obligation de rajeunir leur contenu et d’adapter leur langage et leurs formats pour séduire un lectorat plus jeune». Impératif, de repenser les formats de contenu afin de répondre aux attentes des consommateur·trices ? Stratège chez Rad, Gigi Huynh croit que oui. Après tout, l’objectif des médias demeure que leur contenu soit consommé. Pour ce faire, il faut comprendre comment les gens consomment désormais l’information. Alors qu’autrefois, les médias étaient principalement basés sur le texte, l’ère numérique a introduit la nécessité d’adopter de nouvelles formes de présentation de l’info. Le passage des journaux imprimés aux articles en ligne était un premier réflexe logique, mais les médias doivent tenir compte de la préférence croissante pour la consommation verticale sur les smartphones, par exemple. La jeune génération, en particulier, favorise les formats concis, nous détaille Gigi. «Grâce aux études comportementales, on s’est aperçu que les gens lisent de moins en moins. 80% des gens ne faisaient que lire les titres et pour eux·elles, c’était s’informer. De sorte qu’on a développé des formats avec des carrousels sur Instagram, qui permettent aux gens de s’informer en parcourant des slides avec de gros titres et de grandes images sans avoir à consacrer du temps à la lecture d’un texte de 500 mots», explique celle qui était au tout début de l’aventure du laboratoire journalistique de Radio-Canada, dont la mission était de réconcilier les jeunes et l’information.
Gigi Huynh et Christian Bourque
Accessibilité à l’info
Selon Gigi, les médias doivent s’efforcer d’atteindre un public diversifié — des novices adolescent·es en information aux adultes déjà bien informé·es. Le défi ici est de synthétiser le contenu. Pour Rad, c’est la porte d’entrée en information. Comparant le fait de s’informer à un marathon, la stratège stipule qu’il serait inconcevable de demander à quelqu’un de courir 40 km du jour au lendemain. On commence plutôt par une marche rapide, puis on enchaîne avec un 100 mètres, et progressivement, on augmente la distance. Pour rester au fait de l’actualité, la même démarche devrait être préconisée. Rad offre donc des points d’accès progressifs à l’info en fonction du niveau d’engagement des jeunes et des moins jeunes. «Certain·es commencent par consulter les gros titres, puis passent aux formats plus approfondis lorsque cela leur convient. Cette approche prend en compte la réalité des plus jeunes, habitué·es à consommer de courtes vidéos de divertissement en ligne.» Pour rendre l’actualité plus captivante, son équipe s’est même inspiré «de ce qu’est le marketing en agence». «Comment vendre un produit ? Nous, c’est le même principe. Comment fait-on pour rendre l’information attrayante ? On reprend les codes de l’industrie publicitaire et on l’applique à l’information.» Des concepteur·trices-rédacteur·trices ont donc intégré les salles de nouvelles pour apporter une nouvelle perspective — sans défaire la précision des faits des journalistes, évidemment. «Lorsqu’on interrogeait les gens sur les raisons de leur désintérêt pour les sites d’actualités des médias, la réponse revenait souvent sous forme de “on a l’impression qu’il faut un bac pour comprendre ou être un·e érudit·e.” L’information devrait être démocratisée et accessible à tous·tes, sous toutes ses formes. C’est un peu ça notre culture et notre approche», exprime Gigi. La stratège ajoute qu’il faut aussi réfléchir à la manière d’attirer les personnes qui ne sont pas encore dans notre audience. «Souvent, les médias ont tendance à interroger leur public existant pour savoir ce qu’il souhaite de plus. Cela revient essentiellement à alimenter ceux·celles qui sont déjà des consommateur·trices. L’enjeu réside dans notre capacité à aller chercher un public nouveau ailleurs.»
Audiences élargies
Au premier rang des facteurs secouant les médias au Québec, l’éternelle chute des revenus publicitaires, qui se déplacent vers les mastodontes Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft (GAFAM). La nécessité de repenser les sources de revenus est donc cruciale. «Convaincre les gens de payer pour l’information est un défi, car la gratuité est profondément ancrée dans la culture d’Internet, estime Christian Bourque, vice-président chez Léger. On doit chercher des moyens de diversifier les sources de revenus.» Gigi abonde dans le même sens et estime que les gens ne sont pas nécessairement prêts à payer pour de l’information, parce qu’ils ont grandi avec l’information gratuite. D’après elle, il est nécessaire de trouver des incitations à payer pour la valeur ajoutée offerte par les médias traditionnels. «Il faut observer où les gens sont disposés à payer dans d’autres domaines de leur vie et d’appliquer des stratégies similaires à l’information pour rendre l’abonnement moins contraignant.» Le meilleur exemple selon elle ? Le New York Times qui a réussi à attirer des abonné·es en offrant des sections spécifiques, telles que les jeux ou les recettes, en plus de son contenu d’information.
Le récent blocage des actualités par Meta sur les plateformes au pays pour éviter de se conformer à la loi C-18 apporte un changement notable, pour ne pas dire désolant. Chez Rad, les carrousels Insta se sont donc transposés dans l’application d’information de la Société d’État. «En ce moment, on est en réflexion sur la manière dont on peut atteindre notre public autrement.» Un rapport de Léger montre que seulement 6% des Canadien·nes paieraient un abonnement pour accéder directement aux nouvelles, 22% se tournent davantage vers la radio et la télévision, et 20% vers les sites et applications de médias gratuits pour accéder aux contenus d’actualité. «La loi C-18 divise l’opinion publique, dit Christian. Certain·es pensent que c’est une bonne chose, tandis que d’autres estiment que l’information devrait être gratuite, et que les médias doivent trouver d’autres sources de revenus. Il n’y a pas encore de consensus massif sur cette question, ce qui pourrait créer une impasse dans la situation actuelle. Les gens vont retourner à des sources plus traditionnelles de nouvelles, mais ça ne veut pas dire que leur portefeuille va suivre.»
Le nerf de la guerre ? L’argent, toujours l’argent.