Si vous utilisez Instagram, peut-être avez-vous constaté que juillet a été marqué par une multitude de stories de vos «ami·es Insta» se précipitant pour s’abonner au p’tit dernier de Meta, la société mère de Facebook, Instagram et WhatsApp, Threads. Si certain·es se réjouissaient d’une nouvelle appli, d’autres étaient plus réticent·es à l’idée d’ajouter un autre réseau social à leur liste déjà longue. Moins d’une semaine après son lancement, Threads a amassé plus de 100 millions d’utilisateur·trices. Ce faisant, elle est devenue l’appli à la croissance la plus rapide de l’histoire. Pas trop impressionné·e ? Pour vous donner une idée de l’ampleur, ChatGPT détenait ce record avec un million d’utilisateur·trices en 5 jours, alors qu’il n’a fallu que 7 heures pour Threads. L’ex-Twitter, X, a aussi vu son trafic dégringoler depuis la sortie de son rival. Malgré ce démarrage pour le moins prometteur, l’engouement pour la plateforme a chuté d’après la société SimilarWeb. Threads, bien qu’encore jeune, a-t-elle la capacité de rivaliser avec X ? La réponse est relativement simple — c’est Meta, après tout —, mais mérite d’être nuancée.

Solution de rechange
Souvent présentée comme une alternative à X, mais sans les controverses politiques, bots, trolls et discours de haine qui pullulent la plateforme ces jours-ci, Threads vise à «partager des mises à jour textuelles et participer à des conversations publiques». Plusieurs la voient comme une concurrence à X, un peu à la Mastodon (mais moins complexe) et Bluesky (mais sans l’exclusivité de l’invitation). D’entrée de jeu, la spécialiste des médias numériques Nellie Brière croit que les objectifs poursuivis par Mark Zuckerberg et Elon Musk sont fondamentalement différents. Si l’une de ces plateformes devait surpasser l’autre, ce serait davantage une question de popularité. «Je ne pense pas que l’une va remplacer l’autre pour la simple et bonne raison que Elon Musk a annoncé son intention de faire de X une application “à tout faire” adaptée à l’achat, à la vente, au commerce et aux transactions, ce qui contraste avec Threads. Meta, de son côté, mise sur la décentralisation, à la fois au sein et en dehors de l’entreprise. Les deux ne vont pas du tout dans le même sens.» D’après l’experte, X deviendra «autre chose». Avec l’arrivée de Threads dans le paysage, son virage, déjà entamé, ne fera que se précipiter. Pour Nellie, il est clair que des avantages se dessinent à l’horizon en faveur de Threads pour surpasser X en termes de suivi de l’actualité. «En particulier en Amérique du Nord, car on sait que Twitter était largement utilisé par les politicien·nes et les journalistes.»

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Vers une décentralisation
Mais ce qui est intéressant dans ce qui se profile au Canada, particulièrement avec Threads, c’est son approche décentralisée des serveurs. Comme le souligne Nellie, cette caractéristique semble être passée « sous le radar » pour beaucoup, et nous pourrions sous-estimer l’ampleur des transformations à venir. Sans rentrer dans les détails techniques, elle nous explique que les serveurs sont essentiels pour héberger toutes les données. « Quand on héberge un site web, par exemple, on le fait avec un hébergeur qui a des serveurs sur lesquels les données transitent. Il faut comprendre que ça prend des serveurs pour héberger toutes ces transactions de données. X loue des espaces serveurs parce qu’elle n’est pas propriétaire de serveurs, contrairement à Meta, qui l’est. Déjà, c’est un avantage pour Threads par rapport à X. Là où ça devient vraiment intéressant, c’est que Threads va être décentralisé. » En d’autres termes, nous partage-t-elle, c’est qu’il y aurait de fortes chances que ça devienne interopérable avec des plateformes non Meta, ce qui permettrait aux utilisateur·trices d’accéder à son contenu sans s’inscrire. En plus d’offrir aux usagers plus de contrôle sur leurs données, le principal avantage de la décentralisation.

Quel est le fil conducteur avec la loi C-18 ?
On est confronté à une situation particulière ici. «On est dans l’incomparable, expose Nellie. Au Canada, on a un enjeu avec des projets de loi tels que C-18 et C-11, qui ont comme particularité de vouloir taxer la circulation des URL. Pour l’instant, ce sont les médias qui écopent, mais à terme, le secteur culturel pourrait être touché aussi. Dans ma boule de cristal, je ne vois pas comment les informations pourront revenir sur Meta à moyen, court ou long terme. Mais, l’information pourrait se retrouver sur Threads ! Comment ? Un consortium de médias pourrait décider d’héberger des contenus d’actualité sur un serveur et de les diffuser via Threads.» Nellie estime que Threads est très bien placé stratégiquement pour faire sa place dans les instances du pouvoir et de l’information au Canada, voire en Amérique du Nord. «Le fait que la balance penche vraiment en faveur de la décentralisation, c’est une opportunité majeure.» Selon Nellie, Meta se la joue «safe», mais ça ne l’étonnerait pas qu’elle y voit une opportunité ici, même si on est un petit marché. Pour l’instant, Meta semble privilégier le développement de la plateforme plutôt que sa monétisation immédiate. Mark Zuckerberg lui-même a exprimé l’objectif ambitieux d’atteindre un milliard d’utilisateur·trices avant de considérer la monétisation de Threads. «Lentement, mais sûrement, cette plateforme va s’imposer par rapport à X.»

Pour répondre à la question de départ si Threads a la capacité de concurrencer X, non seulement elle a la surcapacité, mais elle « ue Twitter en territoire canadien», résume Nellie. Reste à savoir si Mark Zuckerberg optera réellement pour la décentralisation de Threads, ou s’il est trop friand de ses chères données.

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