Ça fait des années qu’on nous brandit que la tendance, lourde, est au «cord-cutting»; cette inclinaison à vouloir délaisser les abonnements classiques à la télévision en faveur de plateformes de streaming à la Netflix, Disney+, Amazon Prime, et j’en passe. Nous-mêmes en avons parlé une à deux fois l’an. Au cœur de ce bouleversement ? Les plus jeunes générations, qui embrassent l’idée de couper le cordon, littéralement. Les chiffres — un rapport Léger x Grenier* — nous montrent que 30% des foyers québécois n’ont pas le câble. Parmi ceux-ci, 43% sont âgé·es entre 18 et 34 ans, 39% ont entre 35‑54 ans et 15% ont plus de 55 ans. Pourquoi sont-il·elles séduit·es par les alternatives proposées sur le marché?

De nouvelles façons de consommer
Plutôt attirée vers le documentaire et l’information, Sylvie Bernard trouvait que la qualité des contenus des chaînes spécialisées avait diminué. Selon la conceptrice visuelle et directrice artistique, les interruptions publicitaires se sont multipliées et les émissions américaines «mal traduites» ont envahi nos écrans, alors que les versions originales étaient disponibles à peine «deux canaux plus loin». Estimant que les multiples rediffusions en boucle ont fini par étouffer l’originalité des programmations, elle a abandonné le câble. Dans tous les cas, elle n’était pas très fana de show de fiction. Mai Anh Tran-Ho, chef de pratique, gestion de produits chez Devolutions, n’était pas non plus très intéressée par les émissions. Elle était davantage férue par d’autres activités telles que la lecture, les sorties culturelles et les soupers entre ami·es, de sorte qu’elle n’a jamais eu de câble depuis qu’elle a quitté le nid familial.

«Désormais, les diffuseurs offrent la possibilité de consulter facilement toutes leurs émissions via des applications dédiées», formule Sylvie. Non seulement cette dernière jouit du luxe de choisir ses émissions et de les regarder à l’heure qui lui convient le mieux, sa manière de consommer les médias a grandement changé depuis l’arrivée des balados, qu’elle apprécie écouter lorsqu’elle est en mode «sport». Similairement à Sylvie, Mai Anh est abonnée à plusieurs plateformes. «J’aime la liberté de visionnement que ça offre, de pouvoir regarder ce que je veux, quand je veux. Et aussi sans publicité. J’aime pouvoir binge watcher si j’ai le goût et de me mettre à une série même si ça fait plusieurs années qu’elle ne tourne plus.»

Directrice de comptes numériques chez Dialekta, Audrey Racine a décidé de «tirer la plug» il y a dix ans parce qu’elle n’avait pas envie de supporter le coût d’un bouquet de chaînes qui ne l’intéressaient guère, en plus de ne pas pouvoir regarder ce qui la branchait au moment qui lui convenait. «Ça me pesait de payer pour avoir accès seulement à RDI ou aux résumés sportifs, alors que ces programmes ne représentaient finalement qu’une heure de visionnement dans ma journée.» Grand·es sportif·ves dans l’âme, son copain et elle ont dû faire le deuil des chaînes télé pour avoir des nouvelles en live de leurs événements sportifs favoris. Pour être au parfum de l’actualité, Audrey s’est abonnée à différentes infolettres et consulte les nouvelles à même les sites des médias – chose qu’elle n’avait pas l’habitude de faire avant que Meta ne cesse la diffusion des nouvelles au Canada. Sylvie, elle, privilégie les plateformes de Radio-Canada, tant pour le direct que sur les applications. «Je passe beaucoup de temps à visionner des reels sur les médias sociaux. Si un sujet ou un·e animateur·trice me semble crédible et intéressant·e, je suis encline à le·la rechercher sur sa chaîne YouTube ou à le·la suivre sur TikTok.»

Et la fatigue?
Avec l’arrivée de plateformes comme HBO Max, Disney+ et Apple TV+, les téléspectateur·trices sont confronté·es à une liste toujours plus croissante d’abonnements avec lesquels jongler. Cette fragmentation mène à une «subscription fatigue», ce phénomène où les consommateur·trices sont submergé·es par le nombre de services auxquels il·elles doivent s’abonner pour accéder au contenu convoité. Les conséquences de cette lassitude? D’un, le coût de plusieurs abonnements au streaming peut rapidement s’additionner, annulant les avantages financiers initiaux du cord-cutting. De deux, naviguer dans le dédale des plateformes pour trouver une émission ou un film spécifique peut être une expérience frustrante, nuisant au plaisir des utilisateur·trices. «Je dois avouer que ça devient un peu frustrant parce que la multiplication des plateformes revient à payer pour plusieurs chaînes de télévision (les canaux de base/nationaux versus avoir le câble, dans le temps), alors que ce n’était pas la “promesse” initiale du streaming, partage Mai Anh. J’ai donc abouti à faire une sélection précise des plateformes par rapport aux séries qui m’intéressaient vraiment. On passe parfois plus de temps à scroller la sélection qu’à regarder des contenus!» Pour sa part, Audrey constate qu’elle ne paie pas vraiment beaucoup plus par année: «Si je me prends un fournisseur de câble, ça va me coûter plus cher que de partager les coûts de Netflix, Disney+, Crave et Prime avec mon chum et mes parents». Tandis que Sylvie, elle, estime qu’il y a tellement de canaux que ça relève du défi de TOUT écouter! «L’enjeu reste le temps. Il y a tellement d’offres, mais nos journées n’ont pas plus d’heures», contemple-t-elle.

En fin de compte, les moins de 45 ans privilégient la personnalisation et le contrôle sur leur consommation de contenu. «Peut-être est-ce un problème de notre génération, who knows (RIRES)», laisse tomber Audrey.

Abonnement au câble des foyers québécois*

  • 62 % ont toujours le câble
  • 9 % ont cessé de payer pour le câble dans les deux dernières années
  • 9 % ont cessé de payer pour le câble il y a entre deux et cinq ans
  • 7 % ont cessé de payer pour le câble il y a entre six et dix ans
  • 6 % ont cessé de payer pour le câble il y a plus de dix ans
  • 8 % n’ont jamais eu le câble

grenier

*Données collectées par la firme Léger du 18 au 20 août 2023