À combien de publicités une personne est-elle exposée en une seule journée? La réponse se situe quelque part entre 4000 et 10 000. Avec un tel nombre de propositions quotidiennes sur nos téléphones, téléviseurs, panneaux d’affichage, dans nos radios, ordinateurs et tablettes, nul besoin de préciser que la publicité appartient depuis longtemps à la culture mondiale et qu’elle est un des plus grands moteurs d’influence sociale qu’il existe. Alors que la perception de l’urgence climatique s’ancre durablement avec, entre autres, les derniers rapports du GIEC et l’accélération des bouleversements météorologiques extrêmes, la question relative à la décroissance devient toute aussi alarmante. Dans ce contexte, est-ce que la publicité, qui encourage la consommation, a un rôle à jouer dans l’avenir de l’environnement? Et surtout, est-ce que sobriété et publicités font bon ménage?

L’impact environnemental de l’influence publicitaire
Dans son rapport de février 2022, le collectif OBNL Masse Critique s’est basé sur une mesure objective de calcul des gaz à effet de serre (GES) créée par le collectif britannique Purpose Disruptors afin de mettre des chiffres sur l’empreinte carbone de la publicité au Québec. «Cette mesure de Purpose Disruptors, soit celle de l’influence publicitaire, a aussi été adoptée par l’ONU; c’est pourquoi elle nous paraissait évidente pour calculer l’impact de l’industrie au Québec», indique la fondatrice et présidente du conseil d’administration de Masse Critique. Aux yeux de Valérie Vedrines, il était temps qu’on s’intéresse à l’empreinte de l’industrie de la publicité: «C’est comme si le monde de la communication, mais aussi l’industrie des services, ont été oubliés dans la grande équation des déséquilibres écologiques. On a pointé du doigt les plus grands pollueurs, dont la production de GES se calculait de manière concrète, mais on ne s’est pas vraiment tourné vers les industries qui en produisaient beaucoup de manière moins évidente.» Le collectif a donc choisi de s’intéresser aux émissions de l’influence publicitaire, qu’il définit comme étant «les émissions de carbone résultant de la hausse des ventes générées par la publicité», ce qui inclut: les ventes attribuables à la publicité, les émissions générées par les chaînes d’approvisionnement de la production à l’élimination d’un produit; la publicité payée, le publipostage, le parrainage et les relations publiques.

Encore plus de GES si on ne fait rien
«Ce n’est pas un secret pour personne, indique Valérie Vedrines, le réchauffement climatique ne va pas en s’améliorant. Et même si on est de plus en plus éduqué en tant que société à ce sujet, je crois qu’on ne réalise pas pleinement les changements qu’on doit faire dans nos vies pour contribuer positivement à l’environnement.» Et ce rapport de Masse Critique y est pour quelque chose? «Oui, le rapport qu’on a fait vient d’un besoin de mettre les choses en perspective et montrer l’ordre de grandeur: l’impact de notre industrie est immense et on doit faire plus que le reconnaître. La majorité de notre impact en tant que publicitaire provient de l’influence qu’on a sur les comportements, et ces comportements sont axés sur la surconsommation. Pour moi, ce rapport est né d’un constat et a l’ambition de créer un recul nécessaire dans notre industrie. Parce que si on ne fait rien, nos émissions de GES vont continuer de grandir.»

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L’avenir de la pub est-il lié à un (re)positionnement plus radical des agences?
Pour la cofondatrice et stratège de la coop de communication responsable Bleu forêt, Geneviève Rajotte Sauriol, «le rapport de Masse Critique indique aux agences qu’un positionnement plus radical est nécessaire si on veut que l’avenir de la publicité soit possible.» Aux yeux de cette stratège, le marketing a trop à se reprocher dans la crise climatique, puisqu’il «influence la population à consommer des produits dont elle n’a pas toujours besoin, en plus de mettre de l’avant des modes de vie qui ignorent parfois complètement la crise climatique.» Mais qu’entend-on par positionnement radical? «En fait, les agences doivent s’interroger sur l’impact qu’elles ont et doivent penser à comment elles ont envie de participer positivement au changement. Ça commence par se questionner sur la façon dont on conçoit une publicité pour une compagnie aérienne, mais ça va aussi jusqu’au choix de la clientèle avec qui on veut collaborer. Pour nous, à Bleu forêt, ça va même dans la sobriété de nos communications et de nos campagnes. Ces décisions-là ne sont pas faciles, j’en suis consciente, mais on n’emploie pas le mot radical à la légère.»

De son côté, Valérie Vedrines croit que la publicité doit aider à promouvoir de nouveaux imaginaires et engager des changements de comportements qui s’alignent avec les principes du développement durable. «Ça parait toujours gros quand on est une tête dirigeante d’entreprise en marketing, et qu’on observe tout ce qu’on doit faire et tout ce qu’on doit changer pour participer au changement. En fait, ça donne le vertige. Mon équipe et moi, nous sommes vraiment au courant que c’est contre-intuitif de prendre des décisions qui semblent contraires au développement linéaire de croissance économique. Cependant, je crois que l’heure est à l’action et pour ça, il faut remettre notre travail de publicitaire en question. Ça fait peur, mais c’est nécessaire.» Ce changement ne se fait pas tout seul. Geneviève Rajotte Sauriol et Valérie Vedrines s’entendent sur ce point: une grande problématique est que ce sont les industries les plus polluantes qui ont les plus gros budgets publicitaires, et ces industries font vivre beaucoup d’agences créatives. Le gouvernement pourrait-il légiférer en faveur des nouveaux objectifs verts de l’industrie de la pub? Si on se fie aux initiatives de la ville d’Haarlem aux Pays-Bas, c’est possible. En novembre 2021, le conseil municipal a interdit la diffusion de publicités dans les espaces publics des secteurs des carburants fossiles, des transports aériens et des produits issus de l’élevage intensif. Radical? Oui, mais certes.

Même si elles s’accordent sur le fait que les agences doivent procéder à une transition de leur modèle d’affaires, les deux entrepreneures ne partagent pas la même opinion quant à l’avenir de la publicité. Pour Geneviève Rajotte Sauriol,  on ne sauve pas le sort de l’humanité sans faire de sacrifice: «Qu’on regarde juste cet été, tout ce qui se passe dans le monde. La nature nous envoie des claques dans la face. Il faut “des gestes radicaux” pour reprendre les mots du secrétaire de l’ONU. Et à mes yeux, je ne pense pas qu’on a besoin de plus de gens en pub, au contraire. Je pense que l’industrie de la publicité est basée sur un modèle capitaliste obsolète et qu’il faudra revoir sa pertinence dans un monde où on consomme moins. Je ne dis pas qu’on doit dire au revoir à la pub, je dis simplement que le milieu va devoir user de sa créativité pour sauver sa peau et pour se réinventer.»

Valérie Vedrines pense pour sa part que de tous et toutes changer de métier n’est pas la solution la plus pragmatique. «On a entre les mains une industrie formidable où la créativité est débordante, je pense qu’on a les capacités et les talents pour prendre cette problématique et la transformer en autre chose. Le but de notre rapport n’était d’ailleurs pas de pointer du doigt et de critiquer l’industrie; c’était surtout d’éveiller les consciences et de mettre en marche un mouvement de changement.» Et les agences sont-elles prêtes à faire ce changement? «Oui, on le sent vraiment chez Masse Critique. Les gens viennent vers nous et cherchent à avoir de l’aide. Je crois que les agences ont de la pression à l’interne qui vient des générations plus jeunes et que ça les incite à vouloir prendre des décisions plus responsables. Mais c’est très gros et c’est difficile de savoir par où commencer. C’est normal. Ceci dit, oui, je la vois, cette volonté de participer positivement au changement. Et je crois qu’on peut y arriver.»

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publicite bValérie Vedrines, fondatrice de Masse Critique et Geneviève Rajotte Sauriol, cofondatrice de Bleu forêt (Crédits : Geneviève Charbonneau Photographe / Étienne Boisvert)

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