Déposez cellulaire et ordinateur, puis prenez quelques secondes pour y penser: des femmes qui réalisent des publicités, vous en connaissez combien ? Allez-y, comptez. Bon… vous avez probablement fait le décompte le plus exhaustif que votre tête le permet. Ne faisons pas l’exercice contraire. Restons dans le vif du sujet et parlons un peu plus de la place des femmes (grandissante !) dans le milieu de la réalisation publicitaire avec la boite de production Cinélande, qui se donne la mission (entre autres) de promouvoir la diversité en talent de réalisation dans le domaine de la pub.

Avec qui parle-t-on aujourd’hui ?

  • Kimberley Ann Surin, réalisatrice fraîchement arrivée chez Cinélande
  • Zoé Pelchat, réalisatrice chez Cinélande
  • Mélanie Charbonneau, réalisatrice chez Cinélande
  • Nick Jolicoeur, présidente et associée de Groupe Cinélande
  • Sébastien Pelletier, vice-président création et associé, agence Cartier

cinelande

Partons du plus loin possible sur la ligne du temps. Les femmes cinéastes étaient très peu nombreuses derrière la caméra il y a quelques années et ont souvent eu difficilement accès aux gros budgets dans l’industrie québécoise. C’est encore malheureusement le cas, même si on remarque que la situation s’améliore. Quels défis doivent relever les femmes qui veulent faire carrière en réalisation, selon votre expérience?
Mélanie Charbonneau :
Moi, ça fait plusieurs années que je travaille en pub. Quand j’ai commencé ma carrière dans ce milieu, j’étais remplie de détermination : je voulais vraiment faire de la pub. Pour ça, je n’hésitais pas à foncer et à faire ma place. Je travaillais mes pitchs avec une rigueur exceptionnelle, j’avais le souci du détail, je présentais très bien mes idées… et ça portait quand même fruit puisque je gagnais souvent mes pitchs ! Or, je voyais d’autres réalisateurs monter des campagnes et de gros projets, et moi, parallèlement, je n’arrivais jamais à mettre la main sur les projets à plus gros déploiement. J’avais pourtant l’expérience comparable et ça me trottait en tête, puisque je savais que je connaissais le milieu, que j’avais le bon cv — avec plusieurs prix remportés pour des pubs en poche —, mais je n’arrivais pas à avoir ce break-là. Cela dit, c’est seulement quand je suis arrivée chez Cinélande que j’ai compris tout ça.

Qu’est-ce qui a changé?
Mélanie Charbonneau :
Les opportunités ! Je n’ai plus eu à prouver que je méritais ma place avec « les grands ». Quand je suis arrivée à Cinélande, j’ai vraiment senti de la part de l’équipe un appui et un respect que je n’avais jamais senti dans ma carrière. J’avais une équipe qui pensait réellement en équipe et qui était derrière moi comme une petite voix qui dit : on est avec toi et on va aller chercher les gros projets avec toi. Et ça, ça a fait toute une différence parce que la pub est un milieu très compétitif où la pression de performance est énorme. J’aime comparer mon métier avec celui d’un athlète ; ce n’est pas vrai qu’il ou elle est seul. e à s’entraîner pour une compétition, il y a toute une équipe prête à le ou la soutenir et à l’aider à pousser ses limites — moi, j’ai le sentiment d’avoir trouvé ça chez Cinélande. Nick et moi, on s’est battues ensemble pour aller chercher les opportunités. C’est l’agence LG2 qui m’a donné ma chance avec mes premières grosses campagnes. Maintenant, on est fières de dire que ces efforts ont porté fruit pour les nouvelles générations de réalisatrices.

On dit que ça s’améliore, mais qu’est-ce que l’industrie peut faire pour contribuer à faire rayonner la diversité?
Nick Jolicoeur
 : J’ai l’impression que la pandémie, qui a été une période de haut risque pour toutes les industries, a fait reculer un peu les opportunités pour les femmes réalisatrices. Dans cette grande période d’insécurité, on s’est remis à un modèle qu’on connaissait plus et on a moins eu tendance à prendre des risques. Les gens misaient sur des modèles connus, ce qui a malheureusement montré que la place n’est pas encore acquise pour les femmes dans le monde de la réalisation publicitaire. Alors c’est pour ça qu’il faut encore travailler à changer les réflexes et construire des modèles différents  afin qu’ils deviennent beaucoup plus diversifiés et ouverts.

Et pour vous qui êtes de jeunes réalisatrices, qu’est-ce que vous pensez de la place réservée aux femmes dans votre métier?
Kimberley Ann Surin
 : Il est indéniable que le nombre de femmes réalisatrices en publicité (comme dans la télévision ou cinéma) est faible, et encore plus faible quand il s’agit des femmes issues de la diversité. Toutefois, je dois dire que je constate une forte amélioration au fil des années (ce qui est encourageant), mais il reste encore du chemin à parcourir pour voir une véritable évolution. Je me fais souvent poser cette question, et je soutiens fermement que le travail de représentation doit être davantage mis en avant dans notre société. Je me remémore qu’à l’enfance, mes parents m’avaient demandé de me concentrer sur une ou deux disciplines, et que j’ai choisi le tennis immédiatement. La raison en était simple : j’étais LA FAN #1 des sœurs Williams et je me voyais à travers elles à l’écran. Aujourd’hui, je prends à cœur cette mission de représentation. Je visite régulièrement des écoles pour parler de mon métier et je prends toujours le temps de répondre aux messages des jeunes qui m’écrivent, car c’est important. En tant que femme noire, je suis particulièrement consciente du manque de diversité tant devant que derrière la caméra, et c’est pourquoi je donne mission de faire la différence lorsque je suis derrière la caméra. Je crois que ce manque de diversité est quelque chose auquel toutes femmes sont sensibles et j’espère sincèrement qu’elles arriveront à créer du changement.

Zoé Pelchat : Je sens une envie croissante de la part des agences et des clients de donner la place aux femmes à la réalisation. Malheureusement, nous sommes si peu nombreuses ! Former un réalisateur ou une réalisatrice en pub est un processus de longue haleine, qui prend plusieurs années. Il faut que les boîtes de production acceptent de prendre de jeunes femmes sous leurs ailes et prennent le temps de les former, de construire leur démo reel brique par brique, de les accompagner à long terme afin qu’elles se développent dans cette industrie très exigeante. J’aimerais aussi que la pub québécoise donne la voix à des gens de différentes cultures, origines ethniques et identités sexuelles, qu’on sorte davantage du créneau hétéronormatif blanc. Pour avoir de la crédibilité en pub, il faut avoir la chance et les opportunités de tourner de bons projets.  Puis, il faut plusieurs bons projets et plusieurs années d’expérience pour accéder aux gros projets. Ça commence par une bonne boîte de prod qui t’encadre et te donne des occasions de tourner ces bons projets-là, même s’ils n’ont pas le plus gros budget ni la plus grosse portée. Ce qui est difficile c’est d’abord de trouver une représentation dans une boîte de production qui donne la chance, puis de se donner à fond et avec cœur dans tous les projets qui passent sous la main pour les rendre les meilleurs possibles.

Zoé Pelchat a remporté le prix bronze pour sa réalisation du projet MSP avec l’agence Cartier au concours Idéa 2023.

Sébastien Pelletier vice-président création et associé, agence Cartier: Pour une industrie dite créative, je nous trouve parfois lent·es à embrasser la diversité en général et particulièrement en réalisation. J’admets, et j’en suis, comme créatif, nos succès passés et nos succès actuels nous poussent vers une certaine « sécurité » dans nos choix de partenaire, notre gang, nos habitudes… le succès appel le succès oui, mais une diversité de point de vue, une pluralité de réflexes créatifs, c’est ce qui enrichi et nourri la créativité. Bref, à l’agence Cartier, on se fait un devoir d’avoir cette ouverture sur l’autre. Le gros du défi, c’est de rencontrer cette nouveauté, lui offrir une plateforme, échanger. Ensuite, le seul parti pris devrait être celui du talent.  

Groupe Cinélande : 
Cinélande : Mélanie Charbonneau , Zoé Pelchat , Kimberley Ann Surin.
4ZERO1 : Sonia Bonspille-Boileau, Tara Johns, Édith Jorish, Chloé Robichaud
Alt : Vanessa Gauvin-Brodeur, Sonia&Ginette , Julie Beausoleil

Crédits photo : Zoé Pelchat et Mélanie Charbonneau (Olivier Drowster) et Sébastien Pelletier (Agence Cartier)