Est-ce que la génération des 55 ans et plus n’intéresse plus les annonceurs ? Si on en croit les dires du chroniqueur de La Presse, Hugo Dumas, «passé 54 ans, vous ne valez plus rien aux yeux des vendeurs de VUS, de spas ou de RÉER, dont les publicités financent, en grande partie, la programmation des chaînes privées. » Pourtant, comme le souligne Isabelle Fournier, directrice, lead activation, chez Cossette Média, «les 55 ans et plus composent 80 % de l’audience de la télé du matin [moment où l’écoute] est la plus forte. » Si l’audience est majoritairement composée des générations plus vieilles, alors pourquoi les bouder ?

Est-ce que la pub délaisse vraiment  les 55 ans et plus ?
Cette affirmation semble un peu exagérée aux yeux du professeur au département de marketing de l’UQÀM, Renato Hübner Barcelos. En effet, l’expert en comportement des consommateur·trices estime qu’il s’agit d’un phénomène qui ne date pas d’hier et qu’on doit approcher de manière nuancée: «Depuis les années 1960, le marketing s’est développé en ayant un grand attrait pour les plus jeunes, et ce, pour plusieurs raisons. La première étant que ce public est encore en développement et les habitudes de consommation sont malléables: il y a donc une belle ouverture à l’influence. De plus, les générations plus jeunes commencent à gagner de l’argent, ont moins d’obligations et sont souvent plus enclines à dépenser de manière spontanée. On considérait aussi que les jeunes étaient plus aligné·es avec la nouveauté, plus attentif·ves aux évolutions des modes et donc plus réceptif·ves aux messages publicitaires. Ceci étant dit, ce sont là des observations qui ont été faites dans les années 60 et qui, aujourd’hui, mériteraient d’être repensées.» Et pourquoi ? «Parce que la réalité est qu’on a longtemps supposé que les retraité·es n’avaient pas beaucoup de revenus. Or, aujourd’hui, beaucoup de boomers ont une retraite très confortable.» Ce qui en fait un public intéressant, selon le professeur à l’ESG UQÀM, qui ajoute que malgré cet attrait pour les jeunes, les marques savent que les 55 ans et plus représentent une cible tout aussi attrayante.

renatoRenato Hübner Barcelos ©Université du Québec à Montréal

Un public pris pour acquis ?
S’il est vrai que les générations plus jeunes sont plus attrayantes pour les publicitaires, il n’en reste pas moins que les audiences plus vieilles ont tout de même leur lot d’attention, réitère Renato Hübner Barcelos. «C’est en soi une erreur de bouder un public fidèle et/ou de le prendre pour acquis. Or, si les générations plus vieilles se sentent délaissées au petit écran, c’est peut-être à cause des conséquences d’un autre phénomène en marketing. Car, un des besoins fondamentaux des chaînes médiatiques est de renouveler son audience. C’est également un élément de base pour la survie de toute marque. Alors, il est naturel de voir les publicitaires tenter de séduire une relève, afin d’assurer la pérennité du canal télévisé.» Et il y a aussi le fait important que la publicité à la télévision s’adresse à un un auditoire global, et moins ciblé. «Les budgets des publicitaires ne sont pas infinis, et beaucoup doivent penser aux meilleures stratégies de ciblage afin d’atteindre efficacement des audiences réceptives. Ce n’est peut-être pas le public plus vieux qui est boudé, peut-être que ce sont les coûts de production et les grilles tarifaires des publicités télés qui font reculer certains annonceurs.»

Des temps durs pour la télé traditionnelle ?
Parlant de recul. Depuis 2019, l’Académie de la transformation numérique (ATN), qui publie tous les ans un rapport sur le Portrait numérique des foyers québécois, constate un recul constant du taux d’abonnement des adultes au Québec à des services de  télévision à la maison, que ce soit par fibre optique ou par câblodistribution. En effet, l’étude de 2019 rapportait que près de 77 % de la population québécoise, toute génération confondue, était abonnée à un service de télévision traditionnelle à comparer à 2022, où la moyenne était descendue à 65 %. Parallèlement, les services de visionnement en continu (streaming) continuent de gagner en popularité. Est-ce que le contexte actuel, soit la décentralisation du divertissement et de l’information, avec toutes les nouvelles façons de consommer du contenu - que ce soit par Netflix, Prime Vidéo, Disney+, YouTube, etc. - joue un rôle dans cette problématique ? Selon le professeur de marketing, il n’y en a aucun doute. «Cette décentralisation du contenu montre comment la réalité a changé. Les paradigmes ont beaucoup évolué depuis que la télévision régnait en maître dans les foyers. Maintenant, les publicitaires ont accès aux algorithmes des réseaux sociaux et à des outils très performants pour cibler leur public et pour segmenter leur cible. Le tout à un coût plus bas qu’à la télé. » En pensant à l’évolution des habitudes et aux changements de paradigme, la question vient naturellement : est-ce que la télé connectée n’est pas la solution à ce problème ? «Sachant que la télé connectée emprunte énormément de codes aux services de streaming, la télé traditionnelle aurait tout avantage à continuer de migrer vers des offres intégrées. Parallèlement, explique en souriant monsieur Barcelos, il va falloir que le public se fasse à l’idée que le streaming risque de ressembler à la télé traditionnelle dans un futur proche… Et pour ça, il va falloir accepter que nos contenus soient interrompus par de la publicité.»

74 % = C’est le pourcentage des gens âgés de 55 à 64 ans qui sont abonnés à un service de télévision par fibre optique ou par câblodistribution. Ce pourcentage atteint les 77 % chez les 65 ans et plus.Portrait numérique des générations (2021) ATN

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