Aussi petit soit-il, le Québec brille en grand sur les scènes de la fiction et de la publicité. Découvrez les parcours de sept artisans d’ici dont la créativité rayonne au-delà des frontières.

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Cécile Gariépy, de passe-temps à gagne-pain
On dira ce qu’on voudra sur les médias sociaux, pour une artiste comme Cécile Gariépy, ils peuvent réellement changer le cours des choses. Après avoir travaillé comme réalisatrice publicitaire pendant quelques années, Cécile a voulu bifurquer sur un chemin différent. Elle est allée à Paris, faire une maîtrise en cinéma, en pensant devenir enseignante. C’est là que, pour se distraire, elle s’est mise à dessiner «des niaiseries», dit-elle. Elle reproduisait des anecdotes de sa vie quotidienne, puis publiait ses croquis sur Instagram sans se douter que son passe-temps se transformerait en gagne-pain. Rapidement, la magie du réseau social – et du réseau de publicitaire bien établi de Cécile – a opéré. L’ex-réalisatrice et aspirante enseignante est aujourd’hui illustratrice. Et ses «niaiseries» ont même fait le tour du monde.

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«Après avoir fait un premier projet ici au Québec, j’ai reçu un courriel d’une personne du New York Times qui avait vu mes publications sur Instagram. Je pensais que c’était de la fraude, se souvient-elle en riant. Mais non, c’était bien réel.»

Près de dix ans plus tard, l’artiste livre toujours ses croquis au média de renom, mais ce partenariat lui a également ouvert les portes d’autres géants américains comme Apple, Google et Spotify. Récemment, ses talents ont même servi à faire la promotion de Ruter, la société de transport collectif d’Oslo, en Norvège. Les illustrations de Cécile sont universelles. Composées de formes simples, elles sont vivantes et vont droit au but, permettant de rapidement comprendre le message, quel que soit le médium utilisé.

«Je suis une fille de pub, j’ai grandi dans une famille de publicitaires. J’aime quand ça va vite et que les concepts atterrissent exactement là où ils sont censés aller, explique-t-elle. En illustration, il y a toujours une urgence de trouver un concept adéquat, rapide et intelligent.»

Son approche davantage axée sur le concept que sur l’exécution lui permet de livrer la marchandise dans les délais serrés qu’exigent les grandes entreprises et de répondre à une variété de types de briefs.

«Aux États-Unis, les entreprises ont plus le sens du risque. Les briefs sont plus vagues, laissant plus de place à l’exploration. On ne te dira pas de dessiner quelqu’un qui marche avec un chien, mais plutôt de proposer des concepts qui représentent la vie en communauté. À l’inverse, en Australie, par exemple, ils sont beaucoup plus prudents. On va me demander de dessiner quelque chose de précis, sans nécessairement aller creuser plus loin.»

Chez nous aussi, Cécile rayonne. L’une de ses œuvres est exposée dans les bureaux montréalais de Google, tandis que d’autres ornent les murs de commerces et de ruelles de la métropole. Levez la tête et vous apercevrez peut-être ses couleurs au passage.

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François Jaros, déchiffreur de codes
La réputation du réalisateur François Jaros n’est plus à faire. Son portfolio comprend plusieurs centaines de pubs pour des clients québécois, canadiens et européens, ainsi que des œuvres de fiction primées autant ici qu’à l’international. Toutes des connes, sélection au Sundance Film Festival et gagnant du prix Jutra du meilleur court-métrage. Oh what a Wonderful Feeling, sélection à la Semaine de la critique du Festival de Cannes. L’âge adulte, nominée aux Emmys et récipiendaire de deux prix Gémeaux. Et bien plus encore. Bref, le catalogue de projets élogieux qu’il a signés est bluffant.

En plus de continuer à faire sa marque dans le paysage de la fiction québécois, François a l’occasion, depuis quelques années, de mettre à profit son talent en Europe, surtout en France, où il a notamment dirigé la réalisation des hôtels Ibis, de Basic Fit et d’Ekwateur et participe actuellement à l’écriture d’un film. Des expériences qu’il qualifie d’échanges joyeusement chaotiques et enrichissants.

«En Europe, la concurrence est forte, mais une fois que tu décroches, tu as accès à un bassin de collaborateurs exceptionnels de plusieurs pays qui ont des visions différentes, explique-t-il. J’ai récemment tourné pour une marque française, en Belgique, avec des acteurs flamands et tout le monde se parlait en anglais sur le plateau. Ça devient vite une espèce de grand bordel heureux. Ça fouette, c’est super excitant.»

Si la sensibilité du réalisateur québécois attire les boîtes étrangères, c’est sans doute grâce à sa justesse narrative. Même en examinant de près ses créations, il est difficile de discerner une signature. Chaque œuvre ayant sa trame et son style distincts.

«J’essaie d’être le plus juste possible, de ne pas tomber dans des looks ou des accroches conventionnelles et des effets de mode. J’aime déchiffrer les codes du sujet sur lequel on me demande de travailler.»

Ce travail de recherche, François l’a fait récemment lorsqu’il a réalisé une publicité pour Recyc-Québec en collaboration avec des alpinistes d’expérience.

«J’ai étudié toute l’iconographie de la montagne. Je suis devenu obsédé du mousqueton et de la bonbonne d’oxygène. C’est ce que j’aime le plus dans mon travail: découvrir de nouveaux univers. Quand on prend la peine de s’investir, de bien faire les choses, ça paraît dans le résultat et on grandit humainement aussi.»

Oscillant entre son patelin et le Vieux Continent, l’artisan a aussi appris à s’adapter aux particularités culturelles qui parfois teintent les méthodes et les décisions créatives. «Au Québec, on est beaucoup dans le ressenti, dans le non-dit. On comprend par les images. La France, c’est un monde littéraire. Tout vient d’abord par la parole, alors ce sont les dialogues qui priment.»

Mais, dans tous les cas, quel que soit l’environnement, François Jaros trouve l’inspiration pour propulser ses œuvres au-delà des frontières.

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JP Chartrand, plus grand que nature
Alors que la plupart des gens esquivent les petits malaises de la vie, JP Chartrand, lui, s’en inspire. Son style juste assez décalé qu’il qualifie de «comédie visuelle stylisée où le banal est sublimé et l’étrange est valorisé» en témoigne.

«J’adore créer des univers visuels où la réalité est légèrement déformée pour donner vie à des situations surréalistes, parfois drôles et même inconfortables, avec des personnages nuancés et légèrement plus grands que nature.»

Il faut dire que l’excentricité lui va bien. Même sa carrière n’a pas grand-chose de conventionnel. Designer graphique de formation (mais touche-à-tout de passion), JP a un jour décidé d’expérimenter en pitchant un concept concocté avec les moyens du bord à un groupe musical berlinois. Ç’a marché. Quelques mois plus tard, des responsables de South by Southwest l’appelaient pour lui annoncer que son vidéoclip était sélectionné au festival et des boîtes de production américaines l’approchaient avec vif intérêt.

«C’est grâce à un peu de talent, beaucoup de travail et un vraiment bon timing que j’en suis là aujourd’hui», dit-il avec grande humilité.

JP s’est promené beaucoup aux États-Unis, en Europe, surtout en France et au Royaume-Uni, et même au Chili et en Afrique du Sud, signant des publicités pour un éventail impressionnant de grandes marques, allant de Samsung à Foot Locker en passant par les gelatos italiens Sammontana; des œuvres dans lesquelles on sent bien la maîtrise des compositions graphiques et le penchant du réalisateur pour les effets visuels et le CGI.

La musique, qui lui a permis de façonner son esthétique vidéo convoitée, n’a toutefois jamais quitté sa vie. Au contraire, JP a été appelé à travailler sur des clips comme Late night feelings mettant en vedette la chanteuse suédoise Lykke Li ainsi que Bon appétit de Katy Perry.

«Je travaillais avec mon partner de l’époque sur un projet à Los Angeles quand ma productrice m’a appelé pour me dire qu’elle était en contact avec des gens de l’entourage de Katy Perry, raconte-t-il. Ils étaient à la recherche d’un réalisateur avec une vision un peu alternative pour son prochain clip. Deux jours plus tard, on était dans les bureaux de Capitol Records pour discuter du concept avec Katy.»

Ayant toujours bien fait les choses pour JP, le timing a ensuite incité le père de deux jeunes garçons à revenir au bercail pendant la pandémie. Désormais représenté par la boîte montréalaise ROMEO, il découvre avec enthousiasme le monde publicitaire québécois. Parmi les projets dans lesquels on a le plaisir de voir ses couleurs, il y a cette publicité d’Instacart et la fameuse campagne Nouveau porte-parole de Volkswagen avec Pier-Luc Funk.

L’expérience unique qu’a acquise JP Chartrand dans différents contextes à l’échelle internationale lui a apporté un lot d’outils, de techniques et d’astuces lui permettant d’optimiser ses plans de travail et la façon dont il pilote ses projets, où qu’il soit. Mais, malgré son bagage professionnel garni, c’est sans prétention aucune que le réalisateur aborde sa carrière florissante au Québec.

«Montréal n’a rien à envier aux autres marchés quant au talent et au savoir-faire des équipes ou à la qualité des ressources.  Je suis super enthousiaste à l’idée de pouvoir davantage travailler avec ces talents et profiter de l’expertise d'ici», conclut celui dont on n’a certainement pas fini d’entendre parler.

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Marie-Sarah Bouchard, impostrice autrice
Si ses œuvres n’ont pas encore voyagé au-delà des frontières terrestres, Marie-Sarah Bouchard, elle, est parvenue à lever les barrières d’un monde qui lui a pendant un temps semblé hors d’atteinte. Lorsqu’elle a démarré sa carrière en pub comme coordonnatrice au service-conseil, elle doutait qu’une agence lui permette un jour d’explorer les avenues qui l’attiraient vraiment. Marie-Sarah voulait faire de la rédaction; elle rêvait d’écrire, elle qui a d’ailleurs fait des études en création littéraire. Mais une coordo service-conseil qui devient rédac, franchement…

Heureusement, la magicienne des mots s’est débarrassée du syndrome de l’impostrice qui l’habitait (et que plusieurs femmes du milieu comprendront) en fondant sa propre boîte – La Cursive – avec son conjoint Ricardo Perozo. Leur portfolio comprend une variété de marques sympathiques comme le Festival Santa Teresa, Piknik Électronik et Yardstick, une chaîne d’établissements hôteliers pour chiens. Puis, ce printemps, quelques semaines après avoir donné naissance à son premier enfant, Marie-Sarah accouchait d’un second bébé: son recueil de nouvelles Pas besoin de dire adieu, immédiatement encensé par la critique.

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S’inspirant beaucoup de ses échanges avec les gens, Marie-Sarah signe un premier livre qui aborde avec lucidité et douce ironie l’envie de fuir. Fuir une amitié qui s’étiole, un emploi auquel on a trop donné ou une relation amoureuse décevante. S’évader pour mieux s’épanouir, comme l’a fait elle-même l’autrice dont le talent est désormais confirmé par des plumes aiguisées du milieu littéraire.

«Voici une voix qu’il faudra surveiller à tout prix, celle de Marie-Sarah Bouchard, qui signe un premier livre plus que prometteur.» -Manon Dumais, Le Devoir

«Ironique, tendre ou triste, l’autrice sait en fait si bien rendre justice à toutes les situations qu’on ressent le besoin de lui dire bienvenue et bonne suite en littérature!» -Josée Boileau, Journal de Montréal

«Celle qui signe avec Pas besoin de dire adieu son premier recueil de nouvelles sait capter la fugacité de ces vies fragmentées, interrompues dans leur élan par un mal-être qui gruge, une indifférence qui se répand, une quête qui se vide de son sens.» -Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Une lecture qui fait du bien « dans la société de performance dans laquelle nous vivons » -Christelle D’Amours, Radio-Canada

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Ben Lalande, à contre-courant
Originaire de Havre-Saint-Pierre sur la Côte-Nord, ayant grandi à Québec, Ben Lalande a toujours été un grand rêveur et un preneur de risques. Il a d’ailleurs quitté la belle province à 17 ans pour planter ses racines à Los Angeles, en Californie. Alors étudiant en marketing, mais surtout un grand fan de surf, il a fait une foule de belles rencontres qui lui ont permis de se lancer comme réalisateur à la pige dès sa sortie de l’université. Parmi les plus notoires: Alex Smith, un surfeur professionnel d’Hawaï.

«Je baignais beaucoup dans le monde du surf et j’ai rencontré plusieurs athlètes, dont Alex Smith. Immédiatement, on s’est aperçu qu’on était sur la même longueur d’onde et on s’est mis à travailler ensemble. Ces projets-là m’ont apporté beaucoup. J’étais 100% en contrôle; c’était juste un gars et sa cam.»

En effet, ses vidéos Nomad I et II ont toutes les deux été sélectionnées comme Staff Pick de la plateforme Vimeo, un accomplissement respectable dans le monde de la réalisation qui lui a permis d’acquérir une grande visibilité. Depuis, Ben alterne entre les projets persos comme Nomad et les publicités pour des marques qui embrassent l’intensité de son style.

«J’aime pouvoir maintenir un équilibre entre mes passion projects et les plus grosses productions. Les premiers sont l’occasion pour moi de raconter des histoires qui m’animent, d’essayer de nouvelles choses pour rehausser mon niveau et d’accroître ma visibilité pour décrocher des contrats, tandis que les réalisations publicitaires me permettent de rencontrer plein de monde et de financer mes projets persos», explique-t-il.

Représenté au Québec par ROMEO, il signe notamment des spots sportifs pour Can-Am Off-Road de BRP dans lesquels musique percutante et paysages grandioses sont à l’honneur. Aux États-Unis, il a livré des pubs pour Oakley et Chipotle qui témoignent de son amour pour le sport nautique qui l’a aidé à tracer sa voie. Dans les deux marchés, Ben tire son épingle du jeu, même si, selon lui, le créneau sur lequel il se positionne est plus développé au sud de la frontière.

«Au Québec, on aime beaucoup l’humour et on est très terre-à-terre, mais je ne me démarque pas tellement là-dedans, confie-t-il avec humilité. Mes créations sont intenses, il y a une énergie forte. J’aime quand ça fesse!»

Après plus de huit ans en sol californien, Ben Lalande a si bien intégré les codes de son environnement qu’il n’est plus considéré comme le gars d’ailleurs, mais comme un réal qui ne craint pas de nager à contre-courant pour livrer des vidéos époustouflantes.

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Dan & PAG, maîtres de leur réussite
Si l’expression self-made avait un visage (ou deux), ce serait ceux de Daniel Abraham et de Pierre-Alexandre Girard. Le duo d’entrepreneurs-réalisateurs s’est lancé à la conquête de ses ambitions il y a maintenant plus d’une décennie, s’ouvrant lui-même les portes du monde musical.

«On savait qu’on voulait réaliser, mais on ne savait pas trop comment percer. On a donc monté notre propre petite boîte, puis on a commencé à réaliser des recaps de spectacles, pour ensuite faire du vidéoclip», explique PAG.

Pendant environ sept ans, Dan & PAG ont produit plus d’une centaine de clips; une expérience qui leur a permis d’explorer l’étendue de leur créativité et d’aiguiser leur style et leurs méthodes sur les nombreux plateaux qu’ils ont dirigés. Mais le duo n’avait pas l’intention de s’arrêter là. Avec la musique comme tremplin, le duo, désormais représenté par Alt productions, a plongé tête première dans le merveilleux univers de la fiction.

«Quand on a voulu passer à autre chose, on a eu la même approche, poursuit Dan. On s’est dit “si on ne le fait pas nous-mêmes, on ne le fera jamais”. On n’a pas attendu de se faire dire oui.»

Le saut périlleux fut réussi. En 2019, la websérie Germain s’éteint réalisée par Dan & PAG, a connu tout un succès à l’international. La fiction présentée sous forme d’épisodes d’une dizaine de minutes dans lesquels on suit Germain, un homme atteint d’obsolescence programmée, a notamment reçu trois prix au prestigieux Melbourne Webfest. Plus récemment, Félix, Maude et la fin du monde, une série fantastique comme il s’en fait peu au Québec, a été bien accueillie par les médias d’ici.

Le tandem attribue sa réussite, entre autres, à son style particulier, un genre qui navigue habilement entre la simplicité et l’absurde.

«À l’étranger, on nous a dit qu’il y avait quelque chose d’universel dans notre ton. Autant dans Germain s’éteint que dans Félix, Maude et la fin du monde, nos mises en scène sont toujours ancrées dans quelque chose de très réaliste, de vrai, pour que les spectateurs se sentent proches des personnages, même dans un contexte dystopique.»

Propulsés par les accolades, leur passion et leur sens de l’initiative, Dan & PAG comptent creuser encore plus loin la piste fantastique avec des fictions en format long. Leur conseil pour quelqu’un qui voudrait, comme eux, se démarquer dans le domaine ultra contingenté de la réalisation: croire en ses idées et ne pas essayer d’entrer dans le moule. Il faut avoir un brin de folie pour faire ce métier, aussi bien s’en servir pour frayer son propre chemin.