Vous avez probablement vu passer ce nouveau filtre ultra performant sur TikTok tellement il a fait parler de lui depuis plusieurs semaines. Peut-être même l’avez-vous essayé par curiosité ? Bold Glamour est indétectable. Modifiant drastiquement l’apparence des utilisateur·trices, ce filtre au rendu très réaliste utilise l’intelligence artificielle.

Machine learning
Précédemment, les filtres disponibles sur les plateformes sociales comme Snapchat, Instagram ou TikTok servaient à ajouter des éléments loufoques, un brin enfantins, à son minois (oreilles de chien, arc-en-ciel au-dessus de la tête, émojis colorés) ou encore à embellir ses traits (peau lisse exempte de ridules et de «défauts», lèvres pulpeuses, maquillage virtuel). Contrairement à d’autres effets, le filtre Bold Glamour est presque indiscernable puisque qu’il ne se déforme pas lorsqu’un·e utilisateur·rice passe sa main devant son visage. En effet, les filtres traditionnels superposent un masque 3D sur les visages filmés sur un téléphone portable, ce qui les rend plus aisément décelables lorsqu’on bouge. À l’inverse, ce filtre qui fait polémique exploite le machine learning, c’est-à-dire une technologie qui se base sur l’apprentissage automatique. Créateur de filtres pour Snapchat, Luke Hurd, explique sur son compte TikTok que Bold Glamour «prend votre image, la compare à un ensemble de données d’autres visages et la redessine, pixel par pixel».

Standard de beauté irréaliste
Depuis sa mise en ligne à la fin février, Bold Glamour compte déjà plus de 16 millions de téléchargements et soulève des inquiétudes. Va-t-il amplifier la «Snapchat Dysmorphia» chez ceux·celles qui en font usage, surtout chez les jeunes ? Phénomène apparu aux alentours de 2018, il fait référence au trouble que peut causer une confrontation entre l’image réelle de soi versus la version «améliorée» à travers les filtres. Spencer Burnham, un créateur expert en réalité augmentée (RA), redoute que l’existence d’outils pouvant modifier l’apparence en temps réel ne devienne un terrain propice à la dysmorphie corporelle. «Nous arrivons à un stade où il ne s’agit plus seulement d’augmenter la réalité, mais de la remplacer. Cela me fait un peu peur », a-t-il confessé à The Verge. La Dre Monica Kieu, oto-rhino-laryngologiste et chirurgienne plasticienne faciale basée à Los Angeles, a pour sa part déclaré en entrevue à NowThis qu’elle avait vu un changement dans sa pratique au cours des dernières années. Alors qu’auparavant, les patient·es arrivaient avec des photos de célébrités ou de mannequins, aujourd’hui, il·elles apportent des photos d’eux·elles-mêmes, mais filtrées. «Cela donne une attente irréaliste», a-t-elle dit. Le psychologue et psychanalyste Michaël Stora expliquait pour sa part à 20 minutes «qu’à force de se regarder à travers des filtres qui gomment toute imperfection, le moindre petit défaut physique devient une obsession», ce qui engendrerait la dysmorphophobie.

tiktok

À bas les dictats
Ces attentes irréalistes en matière d’apparence physique dictées par les filtres toucheraient de manière inégale les gens d’après une étude de 2021 sur l’impact social des filtres sur des jeunes entre 18 et 30 ans vivant au Royaume-Uni. 94% des internautes féminines et non binaires se sentaient obligées d’avoir une certaine apparence, tandis que 90% de ces personnes admettaient avoir utilisé des filtres ou altéré leur image en ligne d’une manière ou d’une autre. L’impact des filtres sur les réseaux sociaux joue pour beaucoup sur la santé mentale et l’estime de soi. Une autre étude de 2021 publiée dans la Harvard Business Review montre que l’impact de l’utilisation de la réalité augmentée (RA) variait considérablement en fonction du niveau de base d’estime de soi des utilisateur·ices. Les résultats, étonnants, révèlent que les personnes qui déclarent avoir généralement des niveaux ÉLEVÉS d’estime de soi étaient en fait PLUS affectées par les filtres de réalité augmentée parce que «voir leur visage avec des modifications réalistes les rendait moins certains de leur apparence naturelle».

La lutte contre les dictats de beauté irréalistes n’est pas nouvelle, mais les réseaux sociaux et les filtres l’exacerbent. À l’ère où la RA et l’intelligence artificielle ouvrent tout un monde de possibilités et d’opportunités – on l’a vu avec ChatGPT, Dall-E et Midjourney – les marques doivent encore plus réfléchir à la manière dont elles pourraient avoir un impact sur le bien-être des consommateur·ices. Dans le cas des technologies, les utiliser à bon escient. La marque Dove, qui a l’habitude d’élever la voix sur la toxicité des réseaux sociaux qui minent l’estime de soi, s’en prend une fois de plus aux filtres. Elle tourne (littéralement) le dos à Bold Glamour dans une récente campagne de prévention signée Ogilvy et David et encourage les utilisateur·rices TikTok à faire de même, c’est-à-dire publier une photo prise par-derrière pour rejeter ce filtre, accompagnée du mot-clic #TurnYourBack. Cette démarche s’inscrit dans son engagement envers «La Vraie Beauté» et son logo #NoDigitalDistorsion, c’est-à-dire ne montrer que des images de personnes authentiques et fidèles à la réalité, sans altération de la forme ou de la taille de leurs corps. La marque québécoise SELV Rituel a quant à elle lancé l’offensive Bien-être au quotidien au début du mois d’avril dans le but de promouvoir les vrais corps – en passant par le bien-être et l’acceptation de soi. Sarah Laroche, la fondatrice, se dévoile à nue à travers cette campagne affichée un peu partout dans la ville de Montréal dans le but d’inspirer les femmes à s’aimer comme elles sont.   

Moins de filtres, plus d’authenticité s’il vous plaît.

selv