L’entrée en vigueur de la loi 25 en septembre dernier au Québec a chamboulé le secteur du marketing numérique. Certes, la nouvelle législation répond à un objectif noble de protection de la vie privée des gens, mais il n’en demeure pas moins qu’elle impose un lot de défis aux entreprises qui doivent désormais s’appuyer sur des données internes (first-party data) obtenues avec consentement explicite pour demeurer visibles auprès de consommateurs et consommatrices qualifié·es.

Prendre du recul pour mieux avancer
Selon Benoit Domingue, président d’Ursa Marketing et expert en marketing numérique depuis plus de 20 ans, il s’agit du plus gros changement jamais vu dans le domaine. «Il y a toujours eu une abondance de données et, là, on vient fermer le robinet», explique-t-il. Or, le spécialiste voit là une occasion en or pour les entreprises de reprendre le contrôle. «Elles n’ont plus à dépendre de géants comme Google et Facebook et peuvent enfin devenir maîtres de leurs propres données.»

À l’image du Règlement général sur la protection des données (RGPD) adopté en Europe en 2016 et du California Consumer Privacy Act (CCPA) entériné dans l’État américain en 2018, la loi 25 vient sonner la fin de la collecte abusive de données et de l’espionnage des activités numériques. «C’est allé trop loin et on prend du recul pour se rapprocher de la vraie vie», poursuit M. Domingue.

Concrètement, ce que cela signifie, c’est que toute entreprise doit maintenant demander le consentement explicite aux utilisateur·rices pour recueillir, stocker, traiter et partager leurs données. Combinée à l’apocalypse des cookies tiers provoquant la mise au rancard des tactiques sournoises fréquemment employées par les Google, Facebook et Instagram de ce monde, la législation québécoise pousse les entreprises à s’organiser autrement.

«Ça va être de plus en plus difficile de mesurer l’impact d’une campagne publicitaire orchestrée sur les grandes plateformes, affirme le président d’Ursa Marketing. Celles-ci vont modéliser grâce à l’intelligence artificielle afin d’offrir les résultats sous forme de statistiques, mais ce ne seront plus des mesures exactes.»

Peu à peu, ces sites qui connaissaient vos passions et habitudes par cœur — de votre amour pour le vélo de montagne à votre magasinage compulsif de chaussures — auront de moins en moins de renseignements à exploiter. Et c’est là que les données internes prennent tout leur sens.

automationDominic Leger (Verkko Stratégies), Benoit Domingue (Ursa Marketing) et Alexandre Sagala (Pertinence Média)

Les données internes, une véritable mine d’or
Les données internes sont des renseignements récoltés directement par l’entreprise auprès de sa clientèle consentante via des outils comme un CRM, un formulaire web, des sondages de satisfaction ou une plateforme d’envoi de courriels. Pour reprendre les mots de Dominic Leger, fondateur de Verkko Stratégies, ces données sont un «actif énorme» — pour ne pas dire une mine d’or — dans le nouveau contexte numérique.

« En marketing automatisé et relationnel, on dit souvent que la qualité vaut plus que la quantité, soutient-il. Avec le consentement explicite obligatoire, on a peut-être un obstacle de plus, mais les gens qui le donnent savent davantage à quoi s’attendre. La relation a donc plus de chances de réussir. »

Mieux stocker pour mieux utiliser
Pour tirer parti de ce précieux actif, les entreprises devront en assurer une gouvernance et une gestion intelligentes. D’ailleurs, la loi 25 oblige les entreprises à dresser un inventaire des renseignements personnels qu’elles possèdent, à les classer par degré de sensibilité, puis à conserver uniquement ce dont elles ont besoin pour mener à bien leur stratégie commerciale. Fini le free for all. Selon Dominic Leger, en plus d’être essentiel à la protection adéquate des données, cet exercice peut permettre de concocter une meilleure expérience client.

«Je recommande aux entreprises de dresser cet inventaire depuis plusieurs années déjà, admet le spécialiste du marketing automatisé. Pour bien protéger les données, il faut savoir lesquelles on possède et où elles se situent dans l’écosystème numérique. C’est une étape qui favorise la centralisation des renseignements, un facteur clé pour obtenir une vision 360 des consommateurs et personnaliser leur parcours avec la marque.»

En effet, les entreprises qui parviennent à mieux cultiver leurs données internes en les centralisant dans un outil de marketing automatisé comme Klaviyo ou HubSpot peuvent optimiser leurs communications grâce à des capacités de profilage et de ciblage accrues. Parmi les exemples cités par Dominic Leger, il y a la création de segments qualifiés pour communiquer le plus précisément possible, le déploiement de programmes de fidélisation fondés sur l’historique transactionnel ou encore la segmentation RFM pour déclencher des actions à des moments stratégiques.

Et les agences dans tout ça ?
Pour Alexandre Sagala, président et fondateur de Pertinence Média, il est évident que «les entreprises qui n’ont pas de données internes dans les prochaines années vont perdre leur capacité à se promouvoir». Or, si la plupart ont été sensibilisées à l’importance de mettre en place les campagnes et infrastructures nécessaires, plusieurs n’ont pas encore déployé de stratégies concrètes.

«L’accumulation de données internes vient certainement complexifier l’environnement numérique. Si je stocke, je dois aussi analyser, dit-il. La dimension technologique est donc vraiment très importante.»

Tandis que les plus grandes organisations comme les institutions financières peuvent se permettre l’embauche de scientifiques des données, d’autres auront tout intérêt à se tourner vers des agences spécialisées pouvant les aider à faire les bons choix technologiques et à déployer une architecture permettant d’optimiser le stockage et l’utilisation des données internes.

«Certaines entreprises peuvent avoir de la difficulté à visualiser ce dont elles ont besoin et ce qui leur sera toujours utile dans quatre ou cinq ans. Les agences, parce qu’elles connaissent bien le paysage numérique, sont capables d’émettre des recommandations et de proposer les solutions les plus adaptées.»

Pour en savoir plus sur la loi 25 et les nouvelles dispositions visant à protéger la vie privée des Québécois, c’est par ici.

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