Force est d’admettre que depuis son lancement en 2007, Netflix a révolutionné l’industrie de la télévision avec son modèle de streaming télévisuel et a transformé l’expérience de visionnage en offrant plus de choix, de flexibilité et de commodité aux téléspectateur·rices.

Le géant du divertissement a également changé le modèle économique de l’industrie en proposant à son auditoire un service d’abonnement mensuel donnant accès à un catalogue varié de contenus sans publicité. Jusqu’à tout récemment, ce modèle a plu à une majorité de gens sur la planète, mais la compétition devient de plus en plus féroce dans le marché des plateformes de lecture en continu. Le printemps dernier, on apprenait que Disney+ (avec son offre complète incluant Hulu, Disney+ et ESPN+) talonnait Netflix avec ses 221 millions d’abonné·es. Au même moment, alors que son action en bourse avait pris plus de 6 %, Disney annonçait une nouvelle formule d’abonnement moins chère, incluant de la publicité. Même si Netflix devance toujours Disney+ (230,75 millions d’abonnements payants en janvier 2023), il avait tout avantage à prendre de vitesse son compétiteur lorsqu’il a démarré sa nouvelle formule semblable dans plusieurs pays, le 1er novembre 2022. À en croire les dires de Dallas Lawrence, du cabinet Samba TV, ses nouvelles offres «vont créer le plus grand espace publicitaire haut de gamme depuis plus d’une génération» et constituent «un moment majeur pour les annonceurs». Mais est-ce le cas ?

Nouvelle formule… Nouvelle bonne idée ?
Plusieurs raisons expliquent ce qui pousse Netflix à introduire de la publicité dans ses contenus. D’abord, le géant du divertissement, qui a perdu plus de 50 % de sa valeur en bourse au premier trimestre de 2022, a une «forte pression de rectifier la trajectoire et de réaliser de meilleurs résultats pour ses actionnaires», affirme Paul Verna, analyste pour Insider intelligence. Le spécialiste estime pour sa part que la nouvelle formule représente un «nouveau tournant pour l’entreprise.» De même que la plateforme fait face à une très forte concurrence. Comme le rappelle le professeur au Département de communication sociale et publique de l’UQÀM, Vincent Fournier, «la concurrence dans le secteur du streaming de contenu vidéo est en constante augmentation. Avec des géants de la technologie tels que Apple, Amazon et Disney+ qui cherchent à s’imposer, Netflix n’a pas le choix de continuer à évoluer.» L’introduction de la publicité permet ainsi d’offrir un forfait moins cher à celles et ceux qui n’en auraient peut-être pas les moyens, affirme le chercheur qui souligne que la publicité finance ce genre d’initiatives. «Rappelons-nous qu’une des missions de la publicité, c’est de trouver des nouveaux endroits pour rejoindre les gens. Et en ce sens, Netflix offre un espace intéressant pour les publicitaires. Il ne faut pas oublier que la publicité est utile dans notre société et qu’elle aide à soutenir plusieurs médias qui rendent l’information accessible et nécessaire à tous et à toutes.»

Est-ce que c’est une bonne ou une mauvaise stratégie ? «La stratégie en soi n’est pas bonne ou mauvaise selon moi, ajoute Vincent Fournier, le problème, c’est peut-être le timing qui peut nuire à l’image de l’entreprise. Alors que les revenus générés par Netflix n’atteignent pas les objectifs des actionnaires, l’arrivée d’un nouveau moyen de générer du revenu peut refléter une baisse de qualité. Il faudrait faire gaffe à ne pas en faire un sous-produit.»

Pour Anik St-Onge, PhD et professeure en marketing à l’ESG UQÀM, il s’agit d’une excellente idée de la part de Netflix. «Avec l’inflation qui continue de grimper, le revenu des gens qui a ses propres limites, les abonnements multiples de toutes parts et la fin du partage du mot de passe, offrir une option moins chère est stratégiquement très intéressant. Maintenant, quelle forme prendra cette publicité? J’ose espérer que ce sera fait de manière à respecter l’écosystème de la plateforme, sans être trop intrusif. Est-ce qu’une formule de placement publicitaire au sein même des productions originales Netflix serait envisageable? Tout à fait, on l’a vu avec Stranger Things: quand c’est bien fait, ça passe très bien.»

netflixVincent Fournier, Anik St-Onge et Clément Santa Maria (Crédit photo: David Tsang)

Un public réceptif ?
«Ce qui est le plus intéressant avec cet abonnement, c’est que Netflix offre le choix aux consommateur·rices. On n’aime pas les pubs ? Parfait, alors on paie un peu plus pour ne pas les voir. On préfère payer moins et l’attente ne nous dérange pas ? Excellent, le forfait moins cher existe.» Pour la professeure en marketing à l’ESG UQÀM, le simple fait de varier ses forfaits a de quoi d’intéresserant. Et l’option risque certainement de plaire à plusieurs Québécois·ses. Selon les données révélées en octobre 2022 par l’Académie de la transformation numérique (ATN) de l’Université Laval, plus de la moitié des abonné·es Netflix (55 %) s’intéressent au forfait moins dispendieux de la plateforme, tandis que l’intérêt des internautes non abonné·es à Netflix pour ce genre de forfait atteint 40 %. L’ATN souligne également que ce sont les gens âgés de 18 à 44 ans et les familles avec enfants qui démontrent le plus d’intérêt envers cette nouvelle offre. Sachant que plus du quart des Québécois·es sont abonné·es à au moins trois plateformes payantes de visionnement en ligne — et que cette proportion est encore plus élevée chez les 18 à 44 ans (33 %) —, un forfait moins cher a de quoi attirer l’attention de plusieurs personnes.

Du côté des annonceurs: Netflix est-il l'Eldorado de la pub ?
En posant la question au directeur des médias numériques chez Digitad, Clément Santa Maria, cette nouvelle offre de Netflix représente également une opportunité intéressante pour les annonceurs d’ici: «En marketing, on constate très souvent un haut niveau de performance sur les nouveaux types de formats publicitaires, notamment parce que leur aspect innovant suscite davantage de curiosité. Les annonces sur Netflix devraient donc, du moins dans ses débuts, mieux capter l'attention des usagers que la moyenne. Il faut aussi noter que Netflix vend son inventaire publicitaire à un prix de 65 $ pour 1000 impressions, ce qui est plutôt élevé pour de la vidéo numérique (à titre de comparaison, les CPM sont souvent sous les 5 $ sur YouTube et Meta), mais cela reste très abordable si on le compare à des campagnes publicitaires à la télévision. Un annonceur d'ici qui souhaite augmenter sa notoriété avec des formats vidéo aurait donc intérêt à se positionner sur Netflix pour rejoindre une audience définie.»

L'associé de Digitad partage également l’avis d’Anik St-Onge, et croit qu’il s’agit d’une tendance qui sera de plus en plus fréquente qui saura certainement plaire à un auditoire: «Cette nouveauté est effectivement le signe d'une tendance assez forte sur le marché de la vidéo à la demande, qui a déjà été adoptée par Amazon, Disney + ou Hulu. Avec une version gratuite ou moins chère incluant de la publicité, les plateformes de streaming se donnent l'opportunité d'élargir et de séduire leur audience grâce à des offres compétitives au niveau des prix. Du point de vue des annonceurs, ce mouvement crée de nouvelles opportunités pour diversifier les plans médias, sur un positionnement intermédiaire entre la télévision et la publicité numérique "classique" sur YouTube ou les médias sociaux. Ces formats sont d'excellents compléments pour des campagnes de notoriété sur des cibles précises, et ne demandent pas nécessairement de disposer de budgets gigantesques.»

Le forfait moins cher et financé par la publicité de Netflix a été mis en place dans une trentaine de pays, dont la Malaisie, l’Indonésie, le Venezuela et l’Iran, mais n’est pas encore disponible au Canada.

netflixPhoto : Sayan Ghosh (Unsplash)