Évoquer une image par une simple description de scène, de ce qui se passe à l’écran, peut faire une sacrée différence pour un·e téléspectateur·trice malvoyant·e. Discussion sur l’art de la vidéodescription avec Etienne Gervais, narrateur et fondateur de Vox Pictura.

Quand «1000 mots valent une image»
À peine un an depuis son fondement, Vox Pictura va bon train, notamment avec des projets de docu-réalité pour Anémone Films. «Je ne pourrais demander mieux», s’exclame Etienne Gervais, qui a fondé la boîte spécialisée en vidéodescription (VD) avec la précieuse aide d’une très proche collaboratrice. Celui qui avait d’abord été approché pour faire de la narration a longtemps œuvré à la pige dans le domaine avant de co-créer VoxPictura, signifiant, en latin, «image vocale». Un nom qui veut tout dire. En effet, la VD consiste à une description orale des principaux éléments visuels d’une émission – costumes, paramètres, langage corporel. Cette description est ajoutée pendant les pauses dans le dialogue, permettant aux téléspectateur·trices de se présenter mentalement ce qui se trame. «On peut entendre une discussion entre deux personnes, mais ne pas voir leurs visages, leurs mimiques. La VD, c’est un peu un art. Il s’agit de décrire une image, d’ajouter un complément d’information. C’est ce genre de détail qui peut carrément changer la donne», précise Etienne. On compte plus de 100 000 personnes atteintes de cécité totale ou partielle – déficience visuelle légère à sévère – au Québec. D’où l’importance de rendre accessibles les émissions de télévision dans un format aussi complet que possible. L’initiative «Parlons télé» du CRTC s’est d’ailleurs traduite par la décision d’accroître l’accessibilité de la VD.

voxEtienne Gervais, narrateur et fondateur de Vox Pictura

Quand la télé se fait plus inclusive
L’équipe de Vox Pictura, qui repose sur un vaste réseau de pigistes experts en rédaction, narration (ou même les deux à la fois), mixage et sous-titrage pour malentendant·e, est sensible à l’inclusion. D’autant plus que plusieurs de ses membres connaissent une personne touchée par la déficience visuelle, de près ou de loin. Une tante, une mère-grand, un papa. Atteint lui-même d’une dystrophie maculaire, Etienne perdra son acuité visuelle à long terme. C’est sa principale motivation derrière son travail au quotidien, nous partage-t-il. En ce sens, Vox Pictura souhaite rencontrer dans un futur proche des associations ou des regroupements de gens vivant en situation de handicap visuel afin de connaître et de cerner les attentes, en plus d’améliorer ses pratiques. «En ce moment, on travaille avec un guide aux pratiques exemplaires en VD. C’est un domaine assez particulier, car il n’y a pas de règles ultimes. Le cinéma est rarement linéaire et parfois, il faut s’adapter. C’est constamment un work in progress.» Tendance à laquelle Vox Pictura n’adhérera jamais, est le recours à la voix artificielle. «Ce ne sera jamais notre cas, assure Etienne. On va toujours avoir une vraie voix avec une chaleur humaine, capable de décrire avec émotion.» Selon lui, les gens au sens visuel restreint ont déjà assez d’obstacles pour obtenir de l’information, alors si on leur ajoute une voix artificielle, ce serait d’une aberration inouïe.

Quand une seconde vaut son pesant d’or
VoxPictura a développé une manière de travailler où chaque seconde a son importance. C’est ce qui fait sa distinction dans le marché. «La majorité des compagnies va travailler à la chaîne. Il y aura un·e rédacteur·trice, ensuite un·e narrateur·trice viendra enregistrer en studio. Souvent, cette personne ne connaîtra pas le contexte et n’aura pas de repère temporel, explique Etienne. Si, pendant une interaction, il y a une seconde de silence, normalement, les gens ne seront pas capables de placer des mots. Difficile de dire à la personne qui narre d’exprimer 7 mots, par exemple, en une seconde ! Nous, on est capable d’exploiter chaque seconde grâce à un logiciel ultra précis quant aux codes temporels. » De plus, la boîte fait de l’enregistrement en simultané: une rareté dans l’industrie. « Le texte apparaît pendant une scène. Le·la narrateur·trice va avoir un 3-4 secondes d’ambiance pour se mettre dans le mood avant de lire son script. » Etienne nous apprend que dans l’industrie, la norme veut que la voix soit la plus neutre possible. En revanche, même si l’équipe de VoxPictura doit demeurer plus ou moins dans cette ligne directrice, elle va y ajouter du sien, ne serait-ce que pour apporter de la couleur, ne pas tomber dans l’ennui. Mais pas trop, précise-t-il. « Pour ne pas gâcher la performance des comédien·nes ou la vision des réalisateur·trices. De toute façon, on se retrouve dans deux univers qui marchent un par-dessus l’autre, mais il faut mettre du nôtre. » Comme ? « Simplement en changeant la vitesse à laquelle on parle, ça introduit ce qui va se passer », dit-il, en faisant allusion à une scène de course. Ou bien lorsque la tonalité d’une discussion est plus douce, l’équipe ira dans cette direction, alors qu’au contraire, si c’est une chicane, elle sera capable d’adopter un ton plus sec dans la voix », développe Etienne. Puisque 80 % des informations qui nous sont transmises au cerveau se font par les yeux, VoxPictura tente de fournir le plus de descriptions physiques – lorsque ça s’y prête. Plutôt que d’énoncer « l’homme dans le salon se lève et se prépare », Etienne dirait « l’homme au salon, dans la trentaine, barbu, se prépare ». On a carrément là une image vocale. Et quelques fois, il faut savoir quand s’abstenir de parler. «Il suffit de balancer. Parfois, le son en dit pas mal plus que de parler pendant 5 secondes», résume-t-il.

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La petite histoire des débuts de la VD
C’est en regardant un film en compagnie de son ami aveugle et de son épouse, qui lui décrit «le train sifflera trois fois», que Gregory Frazier s’aperçoit que son copain pouvait «voir» ce qui se passait sur le téléviseur. C’était dans les années 70. Il décide alors de conceptualiser cette expérience sous forme de thèse à la San Francisco University. Son projet reste sur la glace jusqu’à ce qu’un nouveau doyen du département des arts créatifs débarque: August Coppola. En 1971, il crée le Tactile Dome, un musée de reliefs et de sensations qui se visite dans l’obscurité totale. Enfin, le film Tucker (1988) de Francis Coppola demeure une œuvre marquante dans l’histoire de l’audiodescription, puisqu’il s’agit du premier long métrage officiellement adapté au public non voyant.