Naviguer sur le web et envoyer des courriels sont des activités journalières qui sont devenues une seconde nature pour la majorité, mais vous êtes-vous déjà arrêté pour penser à l’impact carbone qu’elles pourraient avoir ? En effet, le numérique est loin d’être une industrie écologique. On explore le sujet, et les solutions, avec trois experts.

Technologie dématérialisée, impact réel
L’écologie et le développement durables sont des sujets qui dominent l’actualité depuis plusieurs décennies, et pourtant, les conséquences environnementales de l’industrie numérique restent difficiles à cerner pour plusieurs. Thierry Tanguay, vice-président au service-conseil chez Activis, une agence numérique qui se spécialise dans l’écoconception de sites web, explique que l’impact écologique du numérique est méconnu, entre autres car elle est dématérialisée ou miniaturisée: «Ça peut être difficile pour les gens de visualiser ce qui pollue lorsqu’on regarde un site web, une vidéo ou un film, parce que ce sont des infrastructures invisibles. Ce n’est rien de visible à part notre appareil, notre écran. L’enjeu de l’empreinte carbone avec le web, c’est autant dans les plateformes qu’on crée que celles qu’on utilise.»

Killian Bellot, développeur full-stack pour l’agence numérique Zenika, offre une statistique qui frappe l’imaginaire: «L’impact du numérique représente 4 % des émissions de gaz à effet de serre. On pourrait se dire que 4 %, c’est assez peu, mais je le compare au secteur aérien, qui est équivalent.»

Pour Daria Marchenko, photojournaliste et militante pour la cause de l’écologie numérique, la bataille contre l’impact carbone de web commence avant tout dans l’accès à l’information. C’est pourquoi elle s’implique de façon citoyenne, entre autres en fondant l’entreprise d’impact social Ecoist Club. «Durant la pandémie, c’est devenu évident à quel point on dépend des structures numériques, et l’impact qu’elles ont sur notre vie, que ce soit sur notre corps, notre sédentarité, notre capacité de concentration, c’est impossible à ignorer. Il y a beaucoup de recherches et de connaissances qui parlent de l’impact environnemental et sociétal du numérique, et quand je me suis lancée là-dedans, je me demandais par où commencer.» L’organisation se concentre donc à réunir des experts en la matière et traduire la masse d’information qui est disponible pour faciliter le partage de connaissances: Ecoist Club propose plusieurs outils au public, dont une application écoresponsable conçue en partenariat avec Zenika, ainsi qu’un calculateur de carbone et des formations.

L’écoconception web en bref
Quelles sont les pistes de solutions des organisations pour diminuer l’empreinte carbone ? Une partie de la réponse se trouve dans la conception des sites et applications qu’on utilise tous les jours. Thierry explique que la performance d’un site est un facteur qui peut faire une différence. Activis mise sur des sites légers, qui contiennent des lignes de code courtes et efficaces et des éléments faciles à charger, ainsi que des hébergeurs locaux. «On évite les lignes de code et les fonctionnalités qui ne sont pas utilisées, donc à chaque fois qu’un utilisateur visite le site, il y a du code qui est chargé inutilement, et donc ça fait en sorte qu’il y a de l’énergie qui est consommée inutilement aussi. Sinon, c’est certain que l’hébergeur peut faire une grosse différence. Au Québec, on est chanceux, parce que tous les hébergeurs d’ici sont alimentés par de l’énergie renouvelable, l’hydro-électricité. On veut tout de même faire attention, parce que l’énergie qu’on consomme, c’est de l’énergie qu’on ne peut pas utiliser autrement ou revendre ailleurs: utiliser de l’énergie renouvelable n’est pas une raison pour être énergivore.» Une autre solution qu’Activis utilise pour réduire, et même annuler, l’empreinte carbone des sites qu’elle développe, est de faire affaire avec des OBNL qui plantent des arbres. Thierry explique que ses sites ont besoin, dépendamment du trafic, d’une moyenne de dix arbres pour annuler leur empreinte carbone.

Comment réduire son impact autrement ?
Au-delà de l’écoconception des sites web et des applications, Killian ajoute qu’il s’agit d’une idée reçue de penser que l’impact du numérique vient en majorité des centres de données et grosses fermes de serveurs. En fait, la majeure partie de l’impact du numérique est en fait liée à la fabrication des équipements. Il indique que le renouvellement des appareils devrait être la première mesure révisée par les entreprises: «Il s’agit d’un sujet duquel on parle officiellement chez Zenika, soit d’allonger le temps entre les périodes de renouvellements des flottes d’appareils numériques. Je m’explique: chez Zenika, auparavant, le renouvellement d’un PC c’était tous les deux ou trois ans, et maintenant, on est passé à cinq ans pour le renouvellement de nos outils de travail. Quand c’est possible pour les entreprises, tout comme pour les consommateurs, il faut repousser au maximum l’achat de nouveaux appareils.»

Thierry est du même avis, et pour lui, l’accessibilité joue un rôle important également: «Si on conçoit un site web, on veut qu’il soit accessible sur le plus d’appareils possible. Si on encourage la désuétude programmée, c’est une autre façon que l’on contribue à l’empreinte carbone: si notre site est disponible sur des appareils de moins de 3 ou 5 ans, on encourage les gens à changer d’appareil plus rapidement.» Il ajoute également que plusieurs moteurs de recherche écoresponsables existent, comme Ecosia et Ekoru.org, et encourage les gens à les essayer plutôt que d’utiliser le classique Google. Des sites comme le Website Carbon Calculator, qui permet de calculer combien de carbone un site émet, peuvent également aider à décider quels sites on souhaite privilégier dans sa navigation quotidienne.

L’approche de Daria est plus large: elle prône la sobriété numérique, un concept qu’elle décrit comme étant flexible, et donc facilement adaptable aux réalités de chacun à travers une prise de conscience et un changement de comportement. «C’est un ensemble de pensées, d’attitudes, de concepts et de pratiques qui permettent de réduire l’impact environnemental du numérique, et considérer son impact sociétal aussi. N’importe qui peut le pratiquer, il y a plusieurs portes d’entrée et plusieurs façons de devenir numériquement sobre, en passant par la réduction du nombre d’outils numériques que vous utilisez, le respect du droit à la déconnexion, la gestion de la fatigue numérique, la gestion de la sédentarité et du temps d’écran, en finissant par l’écoconception.»

eco 1
eco 2Thierry Tanguay, Killian Bellot et Daria Marchenko
eco 3