«Si tout le monde est spécial, alors plus personne ne l’est; si tout le monde remporte un trophée, alors les trophées ne veulent plus rien dire.» 

Cette phrase, prononcée par l’historien et lauréat d’un Pulitzer, David McCullough, devant une foule de diplomé·es en 2012, résonne toujours aujourd’hui, et ce, encore plus quand on se met à réfléchir à la notion de concours. En outre, les compétitions font partie de notre vision de l’élite et force est d’admettre que tous les secteurs possèdent ce système de reconnaissance symbolique : qu’on pense justement au Pulitzer en journalisme, au Goncourt en littérature, aux Oscars, aux Grammys, au Breakthrough en sciences… même le Nobel a un prix décerné à la paix! Les prix reposent donc sur ce concept, celui de souligner l’exceptionnel, tout en respectant une règle d’or, c’est-à-dire d’être une distinction honorable et par le fait même,  remarquable.

L’industrie de la publicité et du marketing connaît elle aussi son lot de concours. On sait pertinemment que la participation des agences et des entreprises ne se prend pas à la légère: des prix déboursés aux nombreuses heures passées à l’inscription, force est d’admettre qu’il faut vouloir plus que participer pour soumettre sa candidature aux grands prix créatifs et aux récompenses marketing. Devant tous ces efforts déployés, la question est valide: est-ce que le trophée en vaut la chandelle? Et surtout, est-ce qu’on accorde encore de l’importance aux distinctions? Pour y réfléchir, le Grenier s’est entretenu avec Bryan-K. Lamonde, directeur de création et associé chez Principal; de chez lg2, Marc Fortin, associé et chef du produit, Montréal ; Dominique Villeneuve, PDG de l’A2C ; ainsi qu’avec la fondatrice et directrice de création chez House9 Design, Farah Khan.

Prix D

Prenons d’abord le taureau par les cornes: est-ce qu’on devrait s’intéresser aux concours en tant qu’agence ou boite de marketing, design, production, etc.?
«Oui», répond sans hésiter Marc Fortin. Pour l’associé et chef du produit Montréal chez LG2, les concours font partie des outils de rayonnement d’une entreprise et sont «en quelque sorte un sceau de cristallisation et de valorisation des productions. C’est d’autant plus vrai quand ce qu’on offre comme produit, c’est le fruit d’un travail créatif. Les concours viennent confirmer notre positionnement dans l’industrie en accordant de la crédibilité et de la valeur à notre créativité, qui est au cœur de notre travail.» De son côté, Farah Khan de House9 Design, répond à la question avec plus de nuance : «Je pense que la décision revient au studio ou à la personne créative. Oui, les trophées peuvent être un très bon moyen de démontrer son excellence dans son domaine, mais ce n’est en aucun cas le seul marqueur d’excellence. La preuve, c’est qu’il existe de nombreux talents en design qui ne participent pas à des concours. Personnellement, je préfère accorder de l’importance à d’autres types de marqueurs, comme les relations avec l’équipe et la clientèle, l’investissement dans les projets et surtout le plaisir dans mon quotidien. Les concours viennent après tout ça, pour moi.» Cette dernière notion résonne également dans la philosophie de LG2, comme le souligne Marc Fortin: «On ne prépare pas une campagne en pensant aux concours. Au contraire, on pense à la créativité et à l’impact partout, sur tous nos projets. Ensuite, on présente notre portfolio aux concours. Après, on voit si c’est reconnu et récompensé.»

La formule des concours est souvent la même : un grand rassemblement qui récompense plusieurs domaines. Est-ce que c’est encore une bonne formule?
À cet effet, le directeur de création et associé chez Principal, Bryan-K. Lamonde, pense que les concours ont encore une valeur, mais ce dernier se montre critique envers la propension qu’ils ont à être trop englobant et à réunir trop de catégories: «Je pense qu’il faut prendre en compte les réalités différentes entre les domaines. Une boite de design n’a pas la même posture qu’une agence de publicité. J’ai longtemps cru — je crois que c’est aussi ce que pensent plusieurs autres camarades en design — que les concours servaient à valoriser une industrie nichée, à réunir les talents et les studios ensemble et à célébrer. Avec la disparition du concours Grafika, on se pose beaucoup de questions en design, parce qu’on a l’impression d’être une catégorie parmi tant d’autres dans une très longue liste de variétés. Plus il y a de catégories, plus les mentions sont diluées, voire invisibles dans la masse de récompenses.» 

À l’inverse, pour Dominique Villeneuve, PDG de l’A2C, les concours sont l’occasion idéale de célébrer tous les talents et les expertises de l’industrie. De ce fait, il semble que ce soit nécessaire qu’ils incluent le plus de domaines créatifs possible: «Les concours, comme Idéa, par exemple, permettent non seulement de faire rayonner les talents et l’industrie aux niveaux local, national et international, mais aussi de prendre connaissance des meilleures pratiques, des innovations et des outils disponibles pour les professionnel·les du milieu. C'est une reconnaissance qui évalue le travail de chaque discipline pour mettre en lumière les projets et études de cas impressionnants de l’année. Ils ne font pas l’unanimité et c’est correct.»

Très conscient que les concours sont une fenêtre importante vers l’international, Bryan-K. Lamonde croit qu’il est encore plus important de se questionner sur ce à quoi devraient ressembler les plateformes de concours: «J’ai un malaise par rapport à certains concours qui disent souligner l’excellence et l’innovation en se présentant eux-mêmes comme peu innovants et peu créatifs. Je parle ici du design de certains concours, qui, pour nous qui faisons du design au quotidien, ne correspond pas du tout à nos critères d’excellence. Ma réflexion part de là. Après, on se pose de sérieuses questions quant à la crédibilité du concours à l’international: si le look de la plateforme, le logo, le design UX sur le site ne sont pas eux-mêmes innovants et au goût du jour en termes esthétiques, je me demande comment des clients, des talents ou même des boites étrangères peuvent accorder du mérite ou de la valeur à ce concours. Et puis, si cette importante notion de rayonnement se perd, on peut se questionner sérieusement sur la formule des concours ici.» Pour Bryan-K. Lamonde, le branding d’un concours apporte énormément de valeur à la crédibilité du trophée et aux rayonnements des lauréats.

On termine ici, en se demandant : quels sont les avantages, sur le long terme, à participer aux concours?
Pour Marc Fortin, les concours amènent un recul sur son propre travail: «On est forcés de se mesurer au travail des autres, mais aussi d’observer les tendances et de nourrir nos standards. Pour LG2, les concours ouvrent plusieurs autres portes: on est de plus en plus invités à donner des conférences, à être membre des jurys des concours, etc. Les trophées sont un sceau de crédibilité à nos produits qui sont, je le répète, le fruit de notre créativité. Et ça s’applique également à nos talents. Cette valeur créée par les concours se partage entre les personnes et l’entreprise. Ça permet, entre autres choses, de devenir un leader dans l’industrie. On voit l’impact quand des gens viennent nous voir en nous demandant “On veut du LG2en n’ayant jamais travaillé avec nous.» Bryan-K. Lamonde insiste, quant à lui, sur l’aspect formateur et enrichissant des concours: «J’ai été invité à être membre de jury et ça a été une très belle expérience. Les discussions qui sont ressorties de nos échanges étaient toutes vraiment enrichissantes. Cette portée critique est au cœur de notre travail, quand on fait de la création. Au fond, il y a énormément de positif reliés aux concours, on reçoit des appels d’une clientèle qui parfois, ne nous connaît pas, mais aussi c’est une occasion de se faire voir autrement que par nos canaux. On souhaite juste, au fond, une meilleure diffusion. C’est important du point de vue local aussi: les étudiant·es qui ont les yeux rivés vers l’industrie et qui cherchent à rejoindre les rangs des meilleur·es.»

À ce propos, les concours participent sans aucun doute à nourrir les ambitions de la relève. Ils attirent les talents et forment les standards des créatif·ves de demain. Pour Dominique Villeneuve, les concours sont importants à l’heure actuelle: «Nous faisons face à une pénurie de main-d'œuvre sans précédent et les concours permettent notamment à de futures recrues de se familiariser avec l’industrie et d’être inspirées par des projets d’ici.»

Pour terminer sur une note positive, Farah Khan, rappelle que la nuance est de mise: «C’est incroyable de recevoir des honneurs de la part d’un jury et de nos pairs que nous admirons profondément. C’est extraordinaire! Mais tout est question d’équilibre. Oui, les victoires sont formidables, mais les défaites n’ont aussi pas d’importance parce que notre travail se mesure sur d’autres aspects très stimulants et mobilisants.»

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