La septième édition du Multidictionnaire de la langue française, incontournable ouvrage de référence grammatical et orthographique auréolé des communicateurs francophones, vient d’atterrir en librairie et en ligne. Un parfait prétexte pour discuter de l’importance de la qualité de notre langue dans le milieu des communications en compagnie de son auteure : Marie-Éva de Villers

Marie-Éva de Villers

La popularité du Multidictionnaire revêt depuis trente-trois ans certains traits du phénomène : plus de 1,5 million d’exemplaires vendus dans toute la francophonie ainsi qu’une septième réédition fraîchement sortie du four. Un gage de notoriété, certes, mais l’expression aussi d’une langue qui se transforme et évolue. « Les langues sont vivantes ! lance une Marie-Éva de Villers des plus enthousiastes au bout du fil. Entre la sixième édition du Multidictionnaire et celle-ci, plus de trois cents nouveaux mots ont été ajoutés. Et tout cela sans parler des cinq mille autres entrées qui ont été bonifiées. L’évolution du monde tel que nous le connaissons s’inscrit dans notre langage et la transformation graduelle de notre vocabulaire témoigne de nouvelles réalités. Les phénomènes sociaux, culturels, technologiques, scientifiques (et j’en passe !) viennent constamment enrichir nos lexiques. La pandémie, par exemple, à elle seule, aura fait entrer plusieurs nouveaux mots dans le Multidictionnaire. Ce ne sont pas des néologismes qui seront tous adoptés dans le langage courant ; ce sont néanmoins des mots qui existent parce qu’une nécessité de nommer quelque chose est apparue. »

Multidictionnaire

Divulgâcher, transpartisan…
Et à qui revient la tâche d’enrichir ainsi la langue de Molière ? « Au Québec, c’est l’Office québécois de la langue française qui tient le registre des nouvelles entrées et qui participe à la création des néologismes, poursuit Marie-Éva de Villers. Ce sont parfois des mots rares et complexes qui découlent de la découverte d’un phénomène scientifique, mais ce sont aussi souvent des mots qui viennent décrire une situation pour laquelle il n’y avait pas encore d’équivalent français. Par exemple — et c’est un verbe que j’aime beaucoup : divulgâcher (et divulgâcheur). Plutôt que de toujours utiliser l’anglicisme spoiler alert, l’Office a créé le mot-valise constitué de “divulguer” et “gâcher”. L’accueil de ce mot a par ailleurs été exceptionnel, tant dans les médias que sur les réseaux sociaux. Un autre de mes nouveaux mots préférés : transpartisan, au sens de “qui transcende les partis, les clivages politiques”. L’Office québécois, au cours des dernières années, est responsable de plusieurs créations qui font aujourd’hui partie de notre langage courant : pensons aux mots “dépanneur”, “polyvalente”, “pourvoirie” et tant d’autres. Certains ont même traversé l’océan pour atterrir en France — ce qui est chose rare, faut-il se l’avouer, car les Français ne raffolent pas de nos créations. À preuve, ils auront mis un bon six, sept ans avant de daigner intégrer le mot “courriel” à leurs communications ! »

Certains relâchements
Mais la question qui nous intéresse : les communicateurs québécois tirent-ils leur épingle du jeu en matière de bonne expression française ? « C’est le vif du sujet ! s’exclame Marie-Éva de Villers. Et je suis fort heureuse que vous me posiez la question, car la qualité du français chez les jeunes (et chez les gens en général) est à mon sens directement influencée par les communications auxquelles ils sont exposés. J’entends par là la publicité sous toutes ses formes, les séries télévisées qu’ils écoutent, les vidéos qu’ils regardent sur YouTube. En ce qui a trait aux médias traditionnels, force est de constater que l’expression de notre langue se porte plutôt bien. Mais certains relâchements ne sont pas sans me préoccuper. Par exemple, dans une publicité, la porte-parole d’une banque bien connue commence une phrase en lançant le mot “définitivement” de façon bien sentie. Ce qui est une erreur dans le contexte, car “définitivement” employé pour dire “absolument” est un calque de l’anglais : definitively. Dans une autre publicité, un comédien-pharmacien nous dit qu’il nous est possible à son établissement de renouveler nos “prescriptions”, ce qui n’a aucun sens dans la mesure où ce sont des “ordonnances” que nous renouvelons, et non pas la prescription. À preuve, existe des prescriptions sans ordonnance. Ces exemples sont des exceptions, mais des exceptions qui n’ont pas lieu d’être. »

Le mot juste
Selon Marie-Éva de Villers, les communicateurs, en matière d’exigences linguistiques, ont une réelle responsabilité, voire un devoir d’excellence envers leurs audiences. « C’est la notion du mot juste, poursuit-elle. Dans la construction d’une phrase, chaque mot participe à l’élaboration des idées derrière le message. Dans une équation mathématique, nul n’oserait permuter deux chiffres au hasard, car l’impact sur le résultat nous paraîtrait évident. Il faut voir le vocabulaire et la syntaxe sensiblement de la même façon. Je suis la première à valoriser l’évolution des langues, et je n’ai absolument rien contre l’expression orale dite familière de la langue. Beaucoup de poésie peut naître de l’oralité, et je suis de celles qui croient qu’une bonne communication en est une qui sait adapter son niveau de langage à la cible visée. Mais il n’en demeure pas moins qu’il faut constamment tenter de niveler vers le haut. Si les anglicismes se frayent insidieusement une place de choix dans le vocabulaire des jeunes, pourquoi n’en serait-il pas de même avec des termes plus recherchés et des syntaxes correctes ? Il faut glorifier la fierté de bien parler notre langue. Communicateurs, vous jouez un rôle exemplaire, continuez votre bon travail et osez la valorisation du français : vos audiences sont les meilleurs ambassadeurs qui soient. »