Mai Anh Tran-Ho

Mai Anh Tran-Ho, Chargée de projet agile, entre autres rôles, Moov AI

  • Une cause qui te tient à cœur : La santé mentale et les maladies neuro-dégénératives, telles que la maladie d’Alzheimer.
  • Qu’apportes-tu sur une île déserte : Si je peux apporter un humain, Simon, mon conjoint. C’est quétaine, mais à deux cerveaux, on survivra mieux et il sait toujours me faire rire. Sinon, une encyclopédie de la faune et de la flore.
  • Si tu étais une plante/un livre/une œuvre d’art/un évènement historique, tu serais :
    • Une plante : Myosotis, de son petit nom anglais « forget-me-nots »
    • Un livre : Mon bel oranger de José Mauro de Vasconcelos
    • Une œuvre d’art : Couple on Beach d’Alex Colville, 1957
    • Un événement historique : Avril 1982, l’arrivée de mes parents en tant que réfugiés au Québec, ou plus largement, l’Indochine française et la guerre du Viêt Nam.
  • Ton mot favori : Ce n’est pas un mot, mais je dis souvent « pour ta gouverne ».

Je n’ai volé de job à personne.
Petite, je ne me sentais pas particulièrement différente des autres, sauf si ce n’était d’être interpellée d’une certaine façon (hey pipi ! la chintoque !) ou lorsqu’on faisait des commentaires sur l’odeur de mes lunchs (la sauce au poisson, c’était pas aussi populaire que maintenant !).

Au secondaire, à l’école privée, je ne me considérais pas plus différente des autres, mais j’avais pris conscience d’être issue d’une classe sociale différente. Mes parents étaient des boat people, n’avaient pas eu cette même éducation qu’ils m’offraient. Cette chance que j’avais par la sueur de leur front était un acquis pour d’autres.

Puis, un soir en revenant de l’école, dans le métro, un homme a balancé le livre que j’avais entre les mains sur le sol, m’a craché au visage et m’a dit que mon père avait volé son job, qu’on vole tous leurs jobs. Il y a eu alors, inconsciemment, « moi » et « les autres ».

Au fil de mes expériences professionnelles, on m’a rappelé (sans le vouloir, probablement) que je n’étais pas à « ma » place. On s’étonnait que moi, l’Asiatique, je n’avais pas choisi d’être dentiste ou médecin. J’ai donc travaillé très fort comme si je devais prouver constamment que je méritais les jobs que j’avais, que j’étais chanceuse d’en avoir un, comme si je ne pouvais pas me laisser aller.

Était-ce aussi par « éthique asiatique », comme on me le disait si souvent, comme si c’était un compliment ? Ou pour atteindre une sécurité financière insatiable et démontrer à mes parents qu’ils avaient bien fait de venir au Canada ? Ou un syndrome de la performance tant cité pour expliquer notre génération ? Ce n’est toujours pas clair.

J’ai accumulé les expériences, les heures, les projets, les responsabilités, et ma carrière allait bon train, jusqu’à cet hiver… quand le train a déraillé et que je suis tombée en arrêt de travail.

Ma vie était de gérer des projets, de planifier, de prévoir, et je n’ai pas anticipé ça. J’ai perdu le sentiment de contrôle, mon droit au travail. Ce hiatus dans le rythme effréné que je m’imposais m’a permis de me (dé)poser. J’ai réfléchi à ce qui me faisait du bien, vraiment du bien, aux tâches que j’aimais faire, pourquoi, et aux tâches qui m’angoissaient, pourquoi. La santé mentale, ce n’était pas que pour les autres, j’y avais droit aussi.

On parle beaucoup d’agilité, mais peu d’agilité émotionnelle. Chez Moov AI, chacun peut choisir ses rôles et ses imputabilités. Ce qu’on croit être une absence de hiérarchie est en fait le devoir de se responsabiliser, et tout d’abord, de se (re)connaître.

J’ai la chance aujourd’hui de travailler dans un environnement qui veut accueillir l’humain dans son tout, avec ses vulnérabilités et ses forces, ses peurs et ses aspirations. Nous sommes construits de croyances fondamentales que nous avons acquises au fil du temps et qui gouvernent nos décisions et nos actions. Dans un cadre favorable, nous parvenons à (nous) questionner et à nous développer, et à (inter)agir avec moins de biais. Et en intelligence artificielle (autant que dans la « vraie » vie finalement), les biais peuvent « briser la machine ».

Je n’ai pas encore bien compris tous les événements qui m’ont construite, mais je sais maintenant que je peux me mettre en action de façon imparfaite et que je n’ai volé de job à personne.

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Afin que toute notre industrie se fasse davantage voir et entendre, le Grenier aux nouvelles souhaite présenter des modèles inspirants issus de la diversité culturelle, de sexe, d’identité de genre, d’âge et en situation de handicap dans sa nouvelle série « Dans l’œil de… ». Cette série vise à donner l’espace à des talents cachés de l’univers de la communication – publicité, production, côté agence et côté client, et à nous faire découvrir des personnes qui auraient lancé une initiative pour favoriser l’équité, la diversité et l’inclusion dans leur organisation. Si vous souhaitez soumettre votre portrait, ou connaissez une personne qui serait intéressée, écrivez-nous à [email protected].