Publicité numérique rime bien évidemment programmatique. Alors qu’agences, annonceurs et éditeurs rivalisent avec les GAFAN de ce monde pour faire découvrir leurs contenus publicitaires, est-il juste de croire que la transparence en programmatique est encore un enjeu d’intérêt ? Discussion sur le sujet en compagnie de John Sclapari, Stéphane Campana et Nicolas Faucher.
Un modèle de voiture zieuté sur la page d’un concessionnaire qui apparaît sur votre fil Facebook. Des crèmes anti-âge qui pointent en bannières sur les sites de sports que vous visitez. Cette marque de biscuits sans sucre qui fait acte de présence sur votre fil de nouvelles. Les avancées technologiques en matière de programmatique ont pour but de permettre (en théorie, disons-le) aux utilisateurs de jouir d’une expérience augmentée ; mais à quel prix, que ce soit du côté des annonceurs, des éditeurs ou encore des utilisateurs ? La question se pose : en 2020, la transparence (ou le manque de transparence, plutôt) en programmatique est-il encore un enjeu ? « Oui ! répond d’entrée de jeu John Sclapari, président de Fuel Digital Media. Nous avons vu apparaître au cours des dernières années une série de mesures destinées à faire gagner en transparence le domaine de la programmatique. Les plus marquantes sont inévitablement la mesure des taux de Viewability, la détection de la fraude ou de publicités masquées. Malgré que les outils de mesure n’aient pas tous la même méthodologie ou le même niveau de précision, l’industrie a fait de très grandes avancées. Cela dit, il reste encore un flou important dans la compréhension du coût réel de la chaîne d’approvisionnement de la programmatique. »
Monétisation
Une situation qui a une répercussion directe et négative pour les éditeurs de contenus, lesquels ont vu fondre la valeur de leur inventaire publicitaire de façon importante. « La responsabilité du coût de la transparence a été mise entièrement sur le dos des éditeurs, poursuit John Sclapari. Lorsque l’on additionne les coûts des certifications exigées, les coûts de plateformes additionnelles et le coût des équipes TI, on réalise rapidement que le modèle est difficile à soutenir. C’est malheureusement les fournisseurs technologiques qui ont bénéficié de l’amélioration de la transparence plutôt que les créateurs de contenus. » Les défis que rencontrent les éditeurs ne semblent toutefois plus être inconnus. « De plus en plus de gens, et heureusement ! sont au fait de leurs enjeux, ajoute Nicolas Faucher, cofondateur et associé chez MédiaTonik. De grands quotidiens tels que Le Devoir, par exemple, par l’entremise de son directeur Brian Myles, ont créé des campagnes de collectes de fonds pour pallier aux manques de compensations financières que leur apportent les revenus publicitaires. Et, pour ce faire, il a dû expliquer clairement ce qui était fait et les coûts reliés aux opérations. Pareil pour La Presse qui a elle aussi dû communiquer ses besoins au grand public. Qu’on se le dise : le grand défi des médias n’est pas le manque d’audience. Les gens consomment du contenu en immense quantité. La preuve : L’Actualité connaît un regain de plus de 30 % de lectorat depuis qu’Alexandre Taillefer a investi dans le produit pour assurer sa visibilité. Le véritable problème, c’est la monétisation. »
Pour une collecte anonyme
Mais revenons à la transparence. Le grand public (l’utilisateur) est-il si au fait de son exposition à la collecte de data ? « Une grande partie des gens ne le sont pas encore, à mon avis, poursuit Nicolas Faucher. Reste qu’il en va de notre responsabilité de s’instruire sur le sujet. M’est d’avis qu’il va de soi aujourd’hui que d’aller sur le numérique équivaut à s’exposer à des contenus publicitaires. C’est l’équivalent de prendre une marche dans un centre d’achats. La collecte de data permet quant à elle d’améliorer l’expérience de l’utilisateur, de la rendre plus efficiente. » L’éducation de l’utilisateur pourrait-elle être améliorée ? « Absolument, opine Stéphane Campana, VP au développement des affaires chez M32. Cela dit, il faut continuer de prêcher pour une collecte anonyme de datas. Il faut impérativement que la vie privée des utilisateurs soit protégée. Plusieurs règles ont été mises en place depuis l’instauration en 2018 du RGPD (règlement général sur la protection des données) en Europe. Ç’a fait boule de neige depuis du côté de certains états américains (où l’intrusion est carrément abusive). Et ce sera bientôt le cas ici aussi. La programmatique peut être une chose carrément merveilleuse lorsqu’elle est appliquée intelligemment, éthiquement, mais ô combien désagréable lorsque bâclée et intrusive. Combien de fois me suis-je fait suivre par des publicités pour un achat déjà complété, ou encore un désir d’achat obsolète ? Tout le monde est passé par là. »
Le gafan et les autres
Les utilisateurs possèdent pourtant le pouvoir de refuser d’être suivis ou encore de choisir les plateformes sur lesquelles ils le seront. « Tout à fait, poursuit Stéphane Campana, mais combien d’entre eux vont réellement prendre le temps, lorsqu’ils arrivent sur une page, de sélectionner lesdites plateformes en question ? C’est pourtant une manœuvre fort simple, mais que 99 % des gens évitent. » Et qu’en est-il de la méthodologie de la collecte de données ? « Elles sont souvent cachées par les fournisseurs de données et les joueurs technologiques, affirme John Sclapari. Les modèles de mesure d’attribution sont aussi des “black box”, si je puis dire, qui donnent souvent des résultats autres que la réalité. Des mesures de protection des usagers et la vie privée sont effectivement mises en place, mais il y a un manque flagrant de transparence et de neutralité parmi les grands du GAFAN. Ils dictent les règles du jeux à leur avantage bien souvent. »