Au Québec, la publicité qui s’adresse aux enfants de moins de treize ans est encadrée par La Loi sur la protection du consommateur. Cette loi est la seule au Canada qui interdit les promotions commerciales adressées aux enfants. Dans le reste du Canada et ailleurs dans le monde, la publicité visant les jeunes est beaucoup moins règlementée qu’ici. Il s’agit d’une situation qui déplaît de plus en plus aux diffuseurs et producteurs de contenu, qui se plaignent d’un sérieux manque à gagner en matière de revenus publicitaires.
La question de la publicité destinée aux enfants sera au cœur du prochain congrès de L’Alliance Médias Jeunesse, qui aura lieu à la mi-novembre à Montréal. Plusieurs acteurs importants de l’industrie de la publicité et de la télévision demandent au gouvernement du Québec de rouvrir les discussions. Cette loi, instaurée dans les années 80, est-elle toujours d’actualité ? Alors qu’on sait que le paysage médiatique a grandement évolué et que la télévision traditionnelle souffre de concurrence « déloyale » des nouveaux diffuseurs numériques, est-il temps de rouvrir la discussion ?
Un casse-tête pour les diffuseurs
Toute publicité, avant d’être diffusée au Canada, doit obtenir une « cote » de diffusion du Telecaster. L’organisme thinktv (anciennement Television Bureau of Canada) a pour fonction, entre autres, d’examiner chaque message publicitaire soumis pour s’assurer qu’il respecte certaines normes. Une publicité reçoit alors une cote parmi celles-ci :
− G (Général) : s’adresse à toutes les audiences.
− KK : Restriction sur le temps d’antenne où le public serait composé de moins de 15 % d’enfants âgés de 12 ans et moins.
− K : Restriction sur le temps d’antenne où le public serait composé de moins de 5 % d’enfants âgés de 12 ans et moins.
Si une publicité reçoit la « cote K », la plus sévère du Telecaster, elle ne peut pas être diffusée dans une émission dite « jeunesse ». Pour une chaîne généraliste qui diffuse du contenu s’adressant autant aux enfants qu’aux parents, c’est moins problématique. La publicité est alors diffusée ailleurs. Ce qui pose problème, c’est lorsque la chaîne est 100% « jeunesse ». Dans ces cas-là, le message publicitaire ne peut tout simplement pas être diffusé. Une « cote KK » permet une diffusion après 21h, puisque le pourcentage de jeunes devant l’écran après cette heure diminue. La décision finale revient toutefois à la chaîne, qui va juger si la publicité sera diffusée ou non, et à quel moment. Et ce processus doit être effectué à chaque fois qu’une nouvelle publicité veut être diffusée...
Le nombre de chaînes jeunesse au Québec : Vrak (Bell Média), Yoopa (Quebecor), Teletoon, et le plus récent, Disney Channel (Corus), est très limité. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas rentable, de faire du « jeunesse ». « Au Québec, le contenu jeunesse est économiquement moins profitable pour notre industrie au-delà de la valeur culturelle et identitaire qu’il crée. Nous devons innover avec des cadres et des modèles économiques différents pour qu’il s’en crée davantage », précise Alexandre Gravel, producteur et associé fondateur chez Toast.
Producteur et associé fondateur, Toast
La chaîne jeunesse VRAK, qui a récemment pris un virage plus « millenial », doit conjuguer avec ce genre de défis. « Une chaîne pour enfants veut être “bon citoyen” et que les parents (sentent qu’ils) peuvent laisser leurs enfants écouter la chaîne en toute sécurité, nous confie Bell Média, propriétaire de la chaîne VRAK. Le défi est évidemment la rentabilité. La télé est une business. Si la chaîne se prive de revenus publicitaires, la survie de celle-ci et de ses émissions est en jeu... »
Le nerf de la guerre : les revenus publicitaires
Effectivement, le nerf de la guerre est le revenu publicitaire. Le contenu pouvant être diffusé sur une chaîne jeunesse étant limité, le diffuseur est conséquemment privé de revenus publicitaires dont il aurait grandement besoin. Le géant McDonalds, par exemple, l’un des plus importants annonceurs au pays, ne peut pas diffuser ses publicités sur une chaîne jeunesse. C’est donc un immense manque à gagner pour le diffuseur. Ce que dit la loi, c’est qu’il est interdit de diffuser une publicité comportant un logo ou une mascotte jugés attrayant pour les enfants. Et l’arche dorée de McDonalds entre dans cette catégorie. La loi stipule également que tout acteur exerçant un rôle dans un processus publicitaire (à partir de la demande de création de la publicité jusqu’à sa diffusion, y compris sa conception) est passible d’une amende allant de 2 000 $ à 100 000 $1.
En 2007, la compagnie Saputo lançait une campagne publicitaire avec sa mascotte « Igor le gorille » pour promouvoir ses collations pour enfants. Deux ans plus tard, après de nombreuses procédures judiciaires, la compagnie, de même que l’agence de publicité P2P, qui a conçu la campagne « Igor », ont été reconnues coupables de faire de la publicité auprès des enfants. Saputo avait alors dû payer une amende de plusieurs dizaines de milliers de dollars en plus de devoir retirer tout son matériel publicitaire. Depuis cette bataille juridique sans précédent, les diffuseurs et les publicitaires redoublent de prudence, parce que, non, la LPC n’entend pas à rigoler.
Tout ce qu’on peut espérer, c’est que la loi soit assouplie dans les années à venir. Ce que clament les experts, c’est que notre rapport à la publicité a changé et que les consommateurs sont plus avertis qu’avant. La loi de 1980 sera-t-elle assouplie ? À suivre...