L’essayiste, chroniqueur et professeur en sciences de l’éducation, Normand Baillargeon fait de la pensée critique son cheval de bataille. Rencontre avec l’intellectuel anarchiste des médias québécois.

Plusieurs l’associent au mouvement des sceptiques du Québec. D’autres voient en lui un activiste social au service d’une éducation de qualité. Qu’importe sa tribune (et elles sont nombreuses!), l’éloquent universitaire profite de chaque opportunité pour faire l’apologie de la pensée critique médiatique. « Je me suis toujours intéressé aux médias, affirme Normand Baillargeon, mais encore plus aux messages qu’ils véhiculent. Bien qu’il soit en constante mutation, un média n’est toujours bien que le messager d’une communication, qu’elle soit publicitaire, politique ou encore journalistique. C’est à ce moment que la pensée critique doit entrer en scène. »

À qui profite l’information?


Selon Normand Baillargeon, les consommateurs de contenus médiatiques possèdent une responsabilité citoyenne aussi importante que celle des communicateurs. « Partons d’un principe tout simple : nos sources d’information, à quelques exceptions près, sont dépendantes de revenus publicitaires ou appartiennent à de grandes corporations. Quiconque est exposé à un énoncé médiatique doit donc se poser deux questions : « Qu’est-ce qu’on est en train de me dire? » et « Qui est derrière cet énoncé? » En d’autres mots : à qui profite ma connaissance de cette information? Il y a mille et une raisons valables de remettre en perspective ce que l’on nous communique. De nos jours, à peu près tout ce que nous consommons intellectuellement a d’abord été raffiné par des firmes de relations publiques. À ce sujet, l’année 2015 bat des records en termes de vacuité! L’ascension politique de Donald Trump dans les sondages en est un bel exemple, parmi tant d’autres. Le contenu du discours est laissé pour compte. Ce n’est rien pour contrer le cynisme que l’on dénote depuis déjà bien longtemps à l’endroit des communications publiques. C’est là que l’emploi de la pensée critique prend tout son sens. »

Société de communication


Le nombre grandissant de sources d’informations disponibles, de même que leur qualité, devrait sonner quelques cloches, toujours selon Normand Baillargeon. « Leur multiplication, surtout grâce au Web, semble être une bonne chose puisqu’elle offre des alternatives, poursuit-il. Mais c’est aussi un couteau à deux tranchants. Les réseaux sociaux et les blogues sont devenus en quelque sorte une échappatoire aux consommateurs insatisfaits des médias traditionnels. Toutefois, plutôt que de se servir de cette variété pour diversifier leurs sources, les humains ont cette tendance à rechercher, ainsi qu’à privilégier, les informations qui viennent confirmer leurs idées préconçues. Par exemple : si je crois dur comme fer que les attentats du 11 septembre 2001 sont le fruit d’un complot américain, je serai inévitablement amené à conforter ma croyance en recherchant des articles qui corroboreront mon opinion. C’est ce que l’on appelle le biais de confirmation d’hypothèse. C’est ainsi que les blogues peuvent parfois se transformer en virus porteurs de théories farfelues! »

Le cas québécois


Et la pensée critique québécoise diffère-t-elle beaucoup de celle des voisins américains? Ou des cousins français ? « Elle est évidemment bien singulière, affirme Normand Baillargeon. Comme professeur, j’ai enseigné à des étudiants de toutes les nationalités. La réputation du Québécois, au caractère gentil et avenant, n’est plus à faire! Cela est une qualité et un défaut à la fois. Je ne vous apprendrai rien en vous disant que nous n’aimons que trop peu la confrontation, ici. Si notre ouverture est manifeste, notre critique, à la fois individuelle et collective, mériterait quant à elle un peu plus de virilité. Et ça, dans le débat public québécois, ça manque. »

Et sur quels enjeux médiatiques Baillargeon aimerait-il voir les Québécois aiguiser leur pensée critique? « La quasi non-discussion du réchauffement climatique dans les médias me met hors de moi! C’est l’une, sinon LA plus grande perturbation anthropique à laquelle la planète fait face en ce moment. Nous en parlons, mais pas suffisamment. Et le pire, c’est qu’il y a encore aujourd’hui [des commentateurs] qui travaillent activement à saboter et à travestir les communications faites à cet effet! Ça, franchement, ça me dépasse! »

D'ailleurs, sur la valeur de l’influence médiatique, Baillargeon est sans équivoque. « Souvent avons-nous parlé de notre société comme en étant une de consommation (ce qui est loin d’être faux), mais nous en sommes aussi une de communication! Des idées, des concepts peuvent valoir leur pesant d’or, du moment qu’ils sont exprimés. Leur influence médiatique peut être aussi bénéfique que néfaste pour une société. Dès lors, la pensée critique du citoyen n’est plus un luxe, mais bien un devoir. »


Article paru dans le Grenier magazine du 17 octobre 2015. Pour vous abonner, cliquez ici.