C’est un lieu commun que de l’invoquer: le monde des médias, et du journalisme du même souffle, est en proie à de profonds changements que je suis porté à assimiler à une véritable transmutation. La venue des médias sociaux, au surplus, a changé fondamentalement la donne, bousculé le confort et les habitudes ancrées depuis des décennies et porté atteinte au sacro-saint principe du droit du public à l’information auquel carburent les journalistes de tous les horizons.

Le journalisme citoyen (comme c’est sympathique) est même en train de se constituer un statut qui en inquiète plus d’un, à raison d’ailleurs. Les journalistes professionnels en perdent leur latin, même si certains se targuent de se féliciter de la venue d’un acteur que plus d’un associent à l’expression pure de la démocratie. Serait-ce aussi l’expression de la démocratie que de saluer l’arrivée de cardiologues ou de gynécologues citoyens, par exemple? Poser la question, c’est y répondre. Et à tout cela s’ajoutent les communicateurs de tout acabit, influenceurs d’opinion, etc., etc.

Une chatte aurait de quoi y perdre ses chats, vous en conviendrez. Mais, ce qu’il y a de plus absurde dans tout cela, c’est que les journalistes, et ils sont légion, s’attaquent de plein fouet, la plupart du temps à tort, à la présence des relationnistes plutôt que de les voir comme des alliés dans un environnement multiprofessionnel devenu très complexe. La parole n’est pas réservée qu’à quelques-uns. C’est ça la démocratie: l’expression d’une multiplicité de points de vue et d’opinions. Dans le grand cirque médiatique dans lequel toutes ces professions évoluent, tout à côté des acteurs de première ligne de l’actualité, journalistes et relationnistes continuent à cohabiter non sans heurts, bien que ceux-ci sont souvent portés à considérer ceux-là comme des adversaires; les frères ennemis de l’information quoi! Désolant.

Au risque d’en décevoir plus d’un, les journalistes devraient plutôt essayer, collectivement, et sans être bêtement corporatistes, de préserver les fondements mêmes de ce noble métier qu’est celui d’informer, dans le respect intégral des règles élémentaires de ce métier qui font appel à l’éthique naturelle, à la rigueur, au respect, à la transparence, l’honnêteté intellectuelle, et j’en passe.

Ayant pratiqué ce métier pendant 42 ans, dont les 33 dernières années de ma carrière à la télévision de Radio-Canada, jamais, dans un passé récent, je n’eus pu croire un seul instant qu’un jour je pourrais poser un diagnostic aussi sévère, cinglant même sur ce métier du journalisme, à constater comment plusieurs professionnels pratiquent ce métier, aujourd’hui. J’ai malheureusement souvent l’impression, avec tout le respect que je dois aux professionnels du moment, que la rumeur, le quinquet de taverne, les demi-vérités, l’absence de nuances, l’erreur grossière, à défaut de dire autre chose, se sont substitués aux faits: aux faits vérifiés, validés par une source crédible, et corroborés par une deuxième source indépendante. Je ne peux que déplorer que le métier en soit réduit à produire ce que j’appelle malheureusement des « mercenaires du clip ». La rapidité du flux de l’information et la vélocité de la circulation de celle-ci n’autorisent en rien l’absence de rigueur, en passant! «Paris Hilton est en ville», ai-je déjà entendu en manchette à mon grand étonnement, sur les ondes de la docte société d’État!

Pas étonnant qu’on ait ouvert un journal du soir chez le concurrent avec un joyeux «Occupation double fait un malheur». Y’a de quoi donner des coliques.

Je me plais souvent à dire que je suis encore journaliste, bien que je sois passé de l’autre côté de la barricade après 42 ans de métier, pour employer une allégorie qui en fait rigoler plus d’un. Le journalisme est un «mal dont on ne guérit jamais»! Trêve de plaisanteries: le journalisme, c’est un simple état d’être, une façon de voir les choses, la vie, les gens!

L’avènement de l’Internet, la globalisation et la seule évolution sociale ont suffi à provoquer à eux seuls un incroyable tremblement de terre médiatique, de magnitude 9,0 à l’échelle Richter. Alors, plutôt que de geindre continuellement contre les professionnels des relations publiques et les relationnistes, la profession journalistique devrait voir en eux des alliés. La parole n’est pas l’apanage d’une seule minorité. À la blague, je me plais souvent à dire à d’ex-confrères, mais néanmoins amis (ex-concurrents inclus) que, bien que directeur des Affaires publiques chez Cohn & Wolfe, j’ai la conviction profonde de partager les mêmes valeurs: la rigueur, les faits vérifiés, la transparence, l’honnêteté intellectuelle. À la seule différence que je pratique maintenant ce que j’appelle «un journalisme à point de vue unique».

À un ex-président de la Fédération professionnelle des journalistes qui, après que je l’eus interpellé il y a quelques années, au nom d’un client éclaboussé à tort, et blanchi depuis, me lança au visage que nous n’étions plus du même côté. À cette surprenante réaction, je n’ai pu que rétorquer, à son grand étonnement, que son assertion était erronée, pour ne pas dire regrettable. Non, faux: nous sommes tous du même côté si nous cultivons ces valeurs dont je vous ai parlé plus tôt. «Vu comme ça, on peut être d’accord», avait-il conclu. Aux journalistes, je réponds: considérez-nous comme une source, une source parmi tant d’autres. Rien de plus, rien de moins.

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Alexandre Dumas, Directeur – Affaires publiques et corporatives chez Cohn & Wolfe | Montréal, en collaboration avec Olivier Gagnon, chargé de projets chez Cohn & Wolfe | Montréal.