Imaginez-vous une seconde que les professionnels de votre service des approvisionnements décidaient de se mêler de votre processus de sélection d’un cabinet d’avocat. S’ils procédaient de la même façon qu’ils le font actuellement pour le choix d’une agence marketing, ça donnerait quelque chose qui ressemble à ça:

AB103E: Appel d’offre-cabinet d’avocat pour la rédaction d’un contrat.

Premier point à noter: il ne sont pas en train de choisir un cabinet pour un an, ou deux, ou trois, mais pour un mandat seulement. Pourquoi? Parce qu’ils appliquent les mêmes règles que pour un fournisseur d’équipement de bureau. Si la valeur du mandat excède 5 000$ (ou 10 000$, ou 15 000$), ça prend un appel d’offre! Même si cela implique qu’à chaque fois que vous allez changer de cabinet d’avocat, vous allez perdre leurs connaissances intimes des dossiers et des enjeux qui vous concernent. Un nouveau mandat, une nouvelle offre... c’est la règle!

1.0 Chacune des firmes invitées à l’appel d’offre devra soumettre ce qui suit:

Nouvelle observation: il y a toujours au moins trois firmes invitées. Pourquoi trois? C’est un chiffre très stratégique, si on y pense bien. La liste de ces firmes comprendra nécessairement:

Firme 1: Celle qui a réalisé le mandat précédent. (On était tellement satisfait de leur travail qu’on les a «flushé», et on leur a demandé de se présenter à nouveau).

Firme 2: Celle qui a perdu lors du plus récent appel d’offre, après avoir été short-listé. (Ils sont convaincus d’avoir compris pourquoi ils n’avaient pas gagné la dernière fois). Et,

Firme 3: La nouvelle venue, l’agence dénichée à la dernière minute pour remplacer la firme #3 qui s’est désistée (Ils se sont rendus compte qu'ils allaient être mis en pitch à chaque nouveau projet).

1.0 a) S.V.P., soumettre une description de votre cabinet; les biographies des avocats qui seront attitrés à notre compte; et trois exemples détaillés de cas où vous avez travaillé avec des entreprises comme la nôtre.

Ça fait du sens. Identifions des associés qui soient à la fois crédibles et cumulant une expérience pertinente. En parallèle, essayons de bien comprendre les besoins du client potentiel et comment celui-ci se positionne dans son marché. Maintenant, il faut s’assurer que tout concorde parfaitement !

1.0 b) S.V.P., mentionner tout conflit potentiel de clients avec nous

Ha oui. Nous voulons des preuves que vous comprenez parfaitement notre industrie, ce qui implique que vous ayez travaillé dans le passé avec certains de nos concurrents. Nous voulons seulement nous assurer que ces mêmes concurrents vous ont déjà congédié avant que nous nous donnions la peine d’examiner votre proposition.

2.0 Chaque firme soumissionnaire devra rédiger un contrat-type qui répondra au brief commercial ci-joint et développer deux annexes (pour montrer que le contrat peut être appliqué à différentes réalités de marché).

Ce que ça dit, c’est que nous allons vous demander de faire tout le boulot et, par la suite, nous prendrons notre décision en fonction de ce que vous allez créer. Nous sommes conscients que la rédaction d’un tel contrat-type devrait normalement nécessiter plusieurs heures de discussions entre les membres de nos équipes respectives. Nous savons aussi qu’un tel contrat-type nécessiterait plusieurs versions, dans un processus très transparent et interactif. On sait tout ça, mais nous préférons tous de même que vous réalisiez le travail par vous-mêmes, derrière des portes closes et sans notre implication, car notre processus de sélection d’un cabinet d’avocats est similaire à celui d’un photocopieur – et nous voulons être juste avec notre photocopieur!

3.0 S.V.P., inclure un estimé budgétaire détaillé.

Nous comprenons qu’il vous manque bien de l’information. Nous sommes conscients que vous ne connaissez ni nos attentes, ni le nombre de changements que nous vous demanderons avant d’en arriver à un document final. Nous savons tout ça, mais nous vous demandons un estimé du nombre d’heures que vous aurez besoin pour réaliser ce dossier complexe, résumé dans ce briefing d’une page. Soyez tout de même conscient qu’il y a de fortes chances que nous choisissions le plus bas soumissionnaire, peu importe de quoi a l’air l’ensemble de votre proposition.

Fort heureusement pour les avocats, ce processus s’applique au choix des firmes de marketing, mais pas qu'à eux. Ce que, nous, on appelle des pitchs créatifs. J’aimerais tellement dire que j’exagère. Je puis vous assurer que tous les professionnels en agence qui lisent ceci savent de quoi je parle et vivent ce type de processus tout au long de l’année.

Alors, mon message aux chefs de marques (et services d’approvisionnement!): «Les agences ne devraient pas être traitées comme des trombones». Et mon message aux agences: «Arrêtons de nous comporter comme des trombones!».

Oui, chers confrères et consoeurs en agence: on estime que le procédé est injuste. On entend «pitch créatif» et on a une poussée d’urticaire. Mais, comme le trombone, on se plie à ces exigences et on se donne tous comme objectif d’atteindre le coeur de ce client potentiel. Le client dit «pitch», et on répond à l’unisson «combien de concepts?».

Bon... cher client potentiel, à la recherche d’une agence: vous vous demandez peut-être «que puis-je faire pour respecter davantage la réalité des agences... et m’assurer de faire le bon choix?».

Permettez-moi de vous offrir trois suggestions.

1. Prenez le temps de comprendre le modèle d’affaires des agences

Les restrictions et les limites imposées par votre modèle d’appel d’offre sont probablement basées sur la valeur totale d’une proposition. Si vous commandez du papier pour votre photocopieur, le bon de commande reflète la valeur du papier en question. C’est un ratio très simple, qui est conforme à l’approche classique d’un processus d’achat d’une entreprise. Votre agence, par contre, fonctionne plus comme un entrepreneur général. Un projet typique en agence comprend un grand nombre de postes de dépenses externes, qui rapportent peu ou aucun revenu pour l’agence. Vous croyez peut-être que votre projet représente une opportunité alléchante pour une agence potentielle quand, dans les faits, celle-ci est très modeste.

Je vous donne un exemple concret.

Attitude a été invitée plus tôt cette année à faire une proposition pour un important transformateur en alimentation. Un budget total de 100 000$. Pour le client, c’était un montant important, d’autant plus que celui-ci excédait largement le montant discrétionnaire établi chez lui, soit 25 000$. Il devait donc aller en appel d’offre, et trois agences devaient soumissionner (voir plus haut!). Or, la réalité de ce budget de 100 000$, c’est qu’il n’allait représenter que 10 000$ en honoraires pour l’agence, le 90 000$ restant devant couvrir les frais de production, d’impression et d’achats média. On s’entend que 10 000$ demeurerait dans la zone discrétionnaire ne nécessitant pas d’appel d’offre, tandis que celui-ci a été établi sur la base de 100 000$.

Qu’en était-il de ce pitch? Un pitch créatif qui allait nécessiter au bas mot 40 heures de la part de chacune des agences soumissionnaires, c’est-à-dire entre 4 000$ et 8 000$ en honoraires et 1 000$ ou 2 000$ en dépenses. Et cela pour un projet ayant un potentiel de profit qui se situait déjà en-dessous de 1 000$. Ce petit calcul rapide démontre clairement que ce pitch n’était pas du tout intéressant pour une agence. Et le problème est accentué par l’effet de répétition: la loi de la moyenne nous dit qu’à trois soumissionnaires par pitch, on peut présumer qu’on aura à investir trois fois de cette manière pour en gagner un!

Ma recommandation: votre processus d’appel d’offre devrait au moins séparer les honoraires des frais d’agence avant que vous ne décidiez de procéder par pitch.

2. Choisissez un partenaire, pas un projet

Je ne dis pas que l’appel d’offre n’a pas sa place. Bien des entreprises s’y prennent très bien pour sélectionner leurs futurs partenaires. Elles s’assurent que le jeu en vaut la chandelle pour les partis impliqués et elles sont conscientes qu’il y a une grande valeur à investir dans une relation client/agence à long terme.

Ma recommandation: utilisez le processus d’appel d’offre pour choisir une agence et fonctionnez par la suite avec un contrat pour une période définie avec le gagnant (un, deux ou trois ans).

3. Si vous tenez à évaluer la création, partagez le risque

Personnellement, je considère que le processus du pitch créatif est non seulement artificiel, il est inefficace. Pourquoi? Parce qu’il lui manque l’une des composantes les plus importantes du processus créatif: le client! Il n’y a pas un briefing qui permette de cerner toute l’histoire. La collaboration et la pollinisation croisée sont des éléments essentiels pour enrichir ce processus.

Ceci dit, si vous souhaitez tout de même prendre le chemin du pitch créatif, au moins, ayez des considérations pour la réalité financière des agences que vous invitez. Bien des entreprises offrent un montant aux soumissionnaires pour couvrir les frais associés au développement de la création.

Ma recommandation: pour avoir la meilleure évaluation possible des agences qui vous intéresse, mettez-les tout simplement à l’essai! Donnez des mandats ponctuels et faites votre choix parmi ces agences en offrant un contrat à moyen ou long terme à celle que vous préférez.

Alors voilà. Et à tous mes amis, chefs de marque ou VP marketing et communications qui vont peut-être vouloir défendre leur processus de sélection d’agence sur la blogosphère, dites-vous que je vous adore et je vous respecte (de toute façon, vous savez que je ne vous visais pas!).

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Dan Nielsen est président d’Attitude Marketing
www.attitudemarketing.ca