En mai dernier, le CRTC libère Séries+, VRAK et Historia de leur obligation de production de séries francophones originales. Trois jours plus tard, Corus annule trois projets de fiction en français. Les associations du secteur audiovisuel québécois s’insurgent. Ottawa renvoie le CRTC à la table à dessin. Dossier réglé ? Oui. Mais non.

Quel publicitaire n’a pas raconté ce trait distinctif de notre société à un client potentiel localisé à Toronto : parmi les émissions télé les plus populaires dans le ROC (rest of Canada), celles produites au pays sont rarissimes alors qu’au Québec, elles sont à peu près toutes produites ici. Les Québécois, fidèles à leurs programmes et leur star-system, résistent encore et toujours à l’envahisseur !

C’est sur cette prémisse que Jean-Pierre Blais, président sortant du CRTC, justifiait l’annulation des conditions de licence de production de fiction francophone. Prétextant que « les distributeurs câblés et satellites doivent désormais offrir tous les services à la carte (...), le choix appartient aux consommateurs de favoriser les servi- ces qui offrent davantage de contenu original qui les reflète et qui les intéresse. »

Gabriel Pelletier, président de l’ARRQ n’achète pas. « Jean-Pierre Blais a préféré mettre ses lunettes roses et a fait le pari que les diffuseurs verraient un avantage commercial à continuer de produire du contenu original pour le marché francophone. Désolé monsieur Blais, mais à l’ère des plateformes numériques internationales, c’est majoritairement en anglais que ça se passe. »

Ce relâchement ne date pas d’hier. Comme le rappelle Yves Légaré, directeur général de la SARTEC, « il y avait une tendance à la déréglementation que l’on sentait depuis plusieurs années. » Déjà en 2015, suite à l’instance Parlons télé, une audience publique sur le système de télévision canadien, le CRTC énonçait quatre mesures pour supporter sa nouvelle poli- tique. Parmi ces mesures, celle-ci : simplifier et alléger le processus d’attribution de licence. Pourquoi ce relâchement ?

Son explication provient de la décision du CRTC « de ne pas encadrer les services par contournement » répond M. Légaré.

« Si on n’encadre pas des services qui vien- nent concurrencer les services tradition- nels, bien sûr qu’il y aura des pressions pour que les services traditionnels soient moins réglementés. » Contre-intuitif selon Mathieu Plante, président de la SARTEC. Alors que les Net ix de ce monde « frappent à nos portes à grands coups de pieds, réduire l’o re d’émissions de langue française est une aberration ». Commentant la décision de Corus, il ajoute « l’abandon des trois séries francophones est d’autant plus navrant que Séries+, si elle portait bien son nom, aurait pu jouer d’audace comme elle l’a déjà démontré dans le passé en lançant des projets comme François en série et Plan B et devenir ainsi une sorte de HBO québécois ».

Mais ne rêvons pas. La (re) décision du CRTC ne changera absolument rien à « la tendance de fond, qui entraîne une lente érosion des sommes disponibles pour la production locale » affirme Ariane Krol de La Presse.

« On manque de revenus », constate Légaré. « Notre capacité à produire des émissions de la trempe d’Unité 9 avec si peu de moyen est un miracle devenu la norme », constatait-il récemment à l’émission Médium Large. « Il faut que les fournisseurs de service internet et les services par contournement soient mis à contribution. Présentement, ils profitent de cette manne qu’est le contenu, sans contribuer au système».

Mais l’encadrement de l’univers numérique est une patate chaude pour nos politiciens. Alors que le consommateur pense que tout est gratuit sur internet, le politique tarde à réagir ; pas payant de se mettre le citoyen à dos. Pendant ce temps, c’est deux poids, deux mesures. De l’espoir du côté de la nouvelle politique culturelle fédérale que nous cogite la ministre du Patrimoine Mélanie Joly ? Des solutions du côté du projet de politique culturelle québécois du ministre de la Culture et des Communications Luc Fortin ? Reste à voir.

Commentant le projet québécois, Hélène Messier, directrice générale de l’AQPM observe qu’« on y parle de rayonnement de a culture sur tout le territoire et à l’étranger, d’affrmation de la langue française, (...) de miser sur la culture pour le développement économique. Bref ! De louables intentions, mais il faudra attendre l’automne pour savoir comment elles se traduiront en mesures concrètes et connaître le cadre financier. »

Il faudra surtout espérer que les divers paliers gouvernementaux intègrent le fait numérique dans l’équation. Les quatre groupes de télé francophones Bell Média, Groupe TVA, Groupe V Média et Corus ont présenté au CRTC une diminution de leurs dépenses en programmation de 11,1 millions par année d’ici 2021. Avec la pression des Netflix et Amazon de ce monde, la situation ne s’améliorera pas d’elle-même.

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Cet article a été publié dans le Grenier magazine, volume 02, numéro 42.