Horticultrice à Armagh, petit village de l’est du Québec, Marthe Laverdière, 54 ans, enregistre une capsule de conseils horticoles pour amuser une cliente qui a le moral dans les chaussettes. Sa bru met la vidéo en ligne sur la page Facebook des Serres Li-Ma, l’entreprise de Marthe.

À ce moment-là, l’horticultrice au langage coloré, à l’humour grivois et à la bonne humeur contagieuse ignore tout de Facebook et croit que la plateforme est destinée aux paroisses avoisinantes. C’est seulement lorsque sa vidéo prend des proportions virales qu’elle apprend que le réseau social est en fait... planétaire. Québécois et étrangers tombent sous le charme de Marthe, l’artiste du jardin et de la blague. Un an, 35 vidéos et quelques millions de visionnements plus tard, Marthe a le vent dans les voiles : En plus d’opérer les serres Li-Ma et de donner des conseils horticoles aux internautes sur fond de badinage, elle publie Jardiner avec Marthe aux Éditions de l’Homme et rode deux spectacles d’humour qu’elle présentera à travers la province et même au Nouveau-Brunswick.

Comment une toute petite entreprise — une famille et trois serres — dans le fond d’un rang s’ajuste à un succès viral sur Facebook ? J’ai appelé Marthe pour le lui demander. Avec la même bonhommie que dans ses capsules, l’entrepreneure et fière grand-maman me raconte que son succès Facebook a entraîné une rupture de stock trois semaines après l’ouverture de la saison 2016. Des quatre coins de la province, les gens sont venus rencontrer le personnage et apprécier son art horticole. « Les gens étaient étonnés de voir que j’étais de même dans la vraie vie. C’est pas un personnage, je suis de même pour vrai », s’esclaffe-t-elle. À la question de savoir si elle envisage agrandir pour répondre à la demande, Marthe répond « Jamais » sans hésitation. Passionnée d’horticulture depuis 30 ans, elle se contente très bien de ses trois serres. « Trop de gens vivent pour travailler, nous icitte on travaille pour vivre. »

Après la première capsule, Marthe comprend surtout que les gens ont besoin de rire. « Je recevais de messages de monde qui feelait pas ou qui traversaient un deuil ou des choses difficiles qui me disaient que je les aidais. Nous autres icitte on est heureux, j’étais ben surprise de savoir qu’autant de monde avait besoin de rire. » Elle continue donc à publier des capsules de conseils horticoles sans autre attente que de combiner ses deux passions, l’humour et l’art du jardin, pour faire du bien. Quand on lui propose de coucher son entrain sur papier et de le transporter sur scène, lui vient alors une idée : elle pourrait utiliser son succès pour réaliser son rêve. « Je sais pas pourquoi tout ça m’arrive, mais je sais ce que je veux en faire. »

Jeanne a 4 ans et a bouleversé le petit univers autour des serres Li-Ma. « C’est une petite boule d’amour », raconte sa grand-maman. Marthe m’explique que Jeanne souffre du syndrome de Rett, une maladie génétique rare. Grâce à ses projets, l’horticultrice espère financer un centre équipé pour prendre en charge des cas particuliers pour que les parents puissent souffler. « J’admire beaucoup ce que Martin Matte a fait pour les traumatises crâniens », raconte Marthe, qui s’inspire de son modèle pour financer un centre de répit à Armagh. « Je veux pas être populaire ou avoir une grosse business, je veux faire du bien. Je vois pas un signe de piastre, je vois le côté humain. » Les réseaux sociaux ont redéfini la façon dont les entreprises rejoignent, séduisent et maintiennent une relation avec les consommateurs. Mais s’y démarquer est un défi croissant à mesure que l’offre s’y multiplie. Il suffit d’un petit tour sur Google pour dénicher un guide pour faire connaître votre entreprise sur les réseaux sociaux. Miser sur la description de l’entreprise. Avoir un logo et un nom accrocheurs. Utiliser des mots-clics. Publier régulièrement, mais pas trop. Faire sa mise en ligne aux heures de pointe. Payer pour en faire un contenu commandité. Faire des concours.

Mais sans googler de guide pour produire une vidéo virale ni respecter aucun de ces paramètres du succès en ligne, Marthe Laverdière a mené une campagne de publicité efficace à coût nul en étant naturellement portée vers l’humain. Ses abonnés ne sont pas particulièrement passionnés de capsules d’horticulture. Ce qu’ils achètent d’abord, c’est Marthe. Le succès financier est un effet collatéral.

Marthe s’est dite surprise du nombre de personnes qui l’ont contactée pour transformer sa popularité en or. Novice des réseaux sociaux, elle ignore peut-être qu’elle réussit ce que les entreprises se tuent à faire : traduire l’« Humain » en dollars. À l’ère où il est à la mode d’endosser des causes populaires et d’engager des influenceurs pour greffer leur personnalité à une marque, le rapport humain est en train de devenir artificiel, voire malhonnête. Et le succès de Marthe, qui n’a respecté aucun des autres critères pour une campagne médias sociaux réussie, réaffirme l’importance et l’efficacité du rapport humain réel et sincère. Les consommateurs, l’entrepreneure le rappelle à juste titre, sont d’abord des personnes. « Icitte on dit depuis 30 ans que si tu vois ton client comme un signe de piastre, donne ta démission parce que t’es pas à ta place. »

Parfois, les meilleurs conseils pour réussir une campagne sur les réseaux sociaux se trouvent dans le fond d’un rang, chez une entrepreneure-horticultrice-auteure-humoriste-grand-mère exceptionnelle qui n’a jamais entendu parler de Facebook avant d’y devenir populaire.

Cet article a été publié dans le Grenier magazine (Vol. 2 - Numéro 26 - 20 mars 2017).