Pensez au plaisir tout pavlovien qui vous habite un soir de binge en voyant en boucle le générique d’ouverture d’un House of Cards ou d’un Stranger Things; la production de génériques d’ouverture d’émission, c’est du sérieux. Des moyens importants sont mis en oeuvre pour les produire et des réalisateurs sont attitrés à cette tâche afin de donner une identité unique, forte et distinctive aux séries qu’ils habillent. On en jase avec un designer télévisuel.

Pointe de conversation avec Christian Langlois


Habillage télé


Et le design dans tout ça  ?


Christian Langlois
Réalisateur et directeur de création visuelle, Mémoire Liquide

Christian, en pub, on te (re)connait pour ton approche visuellement très marquée des messages télé que tu réalises. C’est simple, lorsque l’on veut du beau, on pense Langlois. Maintenant, outre la pub, tu réalises également des génériques d’émission. Prolongement logique de ta démarche ?


Christian : Ou plutôt retour aux sources ! J’ai commencé ma carrière chez Musique Plus comme monteur-réalisateur où je m’occupais — entre autres — de créer le look des chaines télé. C’était l’âge d’or du vidéo-clip, on pouvait être plus éclaté. Ça donnait des trucs plus expérimentaux, plus conceptuels, plus abstraits que ce que l’on voyait auparavant. Cette façon de faire a évidemment attiré l’attention des créatifs publicitaires. On m’a demandé de réaliser la campagne de Black Label. C’est donc plus la pub qui est venue à moi que moi vers elle.

C’est différent la réalisation de génériques versus la réalisation publicitaire ?


Christian : C’est très proche l’un de l’autre; ça demande la même rigueur, le même souci du détail, le même désir d’innover. Et dans les deux cas, il s’agit d’évoquer voire de créer une marque. Sauf que dans le cas des opening credits, on est moins bavard. On n’est pas autant dans le storytelling que dans l’évocation. Le générique met la table sur les intentions de la série qu’il précède. Il sert à donner un feeling, créer une émotion.

Et moi qui, dans ma grande naïveté, croyais que c’était le réalisateur de l’émission qui s’occupait des génériques également.


Christian : En fait, tu n’as pas tort. Même si ailleurs, cela fait un bout de temps que les équipes du générique et de l’émission sont distinctes, ça fonctionne encore souvent comme ça ici. Les producteurs veulent souvent voir le réalisateur de l’émission s’impliquer dans le générique. Mais mon boulot n’a rien à voir avec l’émission en tant que telle. Et celui du réalisateur de l’émission n’a rien à voir avec le mien. Mon job est de faire rayonner l’émission au-delà de l’histoire elle-même. Comme je dis souvent, on n’a pas besoin de savoir comment faire des céréales pour faire une pub de céréales (RIRES) !


D’où te vient ce désir de séduire l’œil du spectateur ?


Christian : D’abord et avant tout parce que je préfère communiquer en m’éloignant des mots, que je trouve trop précis. Je préfère l’évocation à la spécification. J’adore la subtilité et le non-dit. Pense au générique de True Detective. Rien à voir avec la série policière. Une série d’images aériennes, des die-cut graphiques de couleurs. Ce n’est pas l’histoire, c’est l’identité du show. Dès que tu entends les premières notes, dès que tu vois les premières images, tu rentres dans ton show.

Et le son, c’est important ?


Christian : Totalement. Le motion design n’existe qu’avec le son. Prends le générique d’ouverture de Versailles que j’ai réalisé pour Canal+. Le budget étant considérable, on a pu se payer M83, un band techno très populaire en France. Leur musique multiplie par dix l’impact des images que Mémoire Liquide avait produites.

Tes habillages dont tu es le plus fier ?


Christian : Outre Versailles, toute la série de la campagne télé pour la station MongolTV; un tournage de malade dans les steppes de la Mongolie ! Le design télé de la défunte chaîne Mlle, le générique d’ouverture du magazine télé D, le spot anniversaire pour Téléfilm Canada. Et plus récemment, le générique du film Jesse Rosenfeld Freelancing on the Frontlines de Santiago Bertolino produit par l’Office national du film du Canada (ONF) qui clôturera les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM).


Les stations de télé elles-mêmes se refont de temps en temps une petite beauté, non ?


Christian : Oui. Ces habillages jouent un peu le même rôle que les génériques, sauf que cette fois-ci, ils sont au service de la station, de la marque. Ils permettent aux stations d’évoluer tout en gardant leurs racines, leurs spécificités. Ces habillages sont un peu les bouées d’ancrage dans la mer de contenu qui défile heure après heure.

Les principales qualités d’un habilleur télé ?


Christian : Elles ne sont pas très différentes de celles de designer oeuvrant dans d’autres sphères. Tout d’abord, il faut être au service du projet, pas le contraire. Chaque fois, il faut chercher à se réinventer. Et donc, se méfier de soi ainsi que des réflexes répétitifs de notre époque. Les trends, ça vieillit mal : tu vas voir, le lumber design, on n’en verra plus très bientôt (RIRES) ! Mais surtout, comme pour tout travail d’artisan, il faut travailler. Travailler, travailler, retravailler, puis recommencer. Car au final, ce que l’on veut, c’est de simplifier au maximum. Ôter l’inutile. Et s’assumer.

Et tu t’assumes ?


Christian : Totalement (RIRES) !