L’humour est omniprésent dans le paysage culturel québécois. Combien d’artistes aujourd’hui bien établis ont emprunté la voie de l’humour pour se faire connaître ? Mais le milieu médiatique et artistique est difficile. Il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Au-delà d’apprendre à devenir drôle, comment réussit-on à se tailler une place dans le très compétitif monde de la blague ?

Le Grenier est entré en contact avec trois professionnels de l’humour québécois aux parcours très distincts; Chantal Lamarre, animatrice, chroniqueuse, comédienne, auteure humoristique et metteure en scène de la cohorte 2016 des finissants de l’École de l’humour, Didier Lambert, humoriste émergent et indépendant ainsi que Marilou Hainault, gérante de François Bellefeuille, Louis T, Simon Gouache et Phil Roy ainsi que directrice de l’agence artistique Phaneuf, pour leur demander la question à 14 000 dollars (le prix à payer pour entrer à l’ENH) : Comment vendre son humour en 2016 ?

Avec style


Comment déterminer son style en humour ? Selon Chantal, les humoristes doivent trouver une folie qui leur appartient. « C’est leurs petites névroses, leurs insécurités, leurs angoisses qui sont du matériel. » Marilou croit que de trouver son style est le nerf de la guerre : « Ça prend beaucoup d’essais et erreurs et surtout, il faut accepter de se mettre en danger. »

Chantal Lamarre

Marilou Hainault

Didier reconnaît quant à lui qu’il ignorait quel était son style avant de commencer. « Ça s’installe par soi-même, ça vient de l’intérieur. » L’humoriste, qui s’est fait un nom en revêtant la peau d’un personnage hyperactif, se doutait tout de même « qu’il se passait quelque chose avec ce personnage, une façon d’aborder l’humour de façon différente. » Il savait aussi qu’il devait absolument se démarquer de la masse.

Didier Lambert

Se démarquer


Pour Chantal et Marilou, la meilleure façon de se démarquer est de travailler fort. « Un humoriste est toujours en réécriture », nous dit Chantal qui ajoute que c’est encore plus difficile qu’au théâtre. Marilou pense qu’il faut aussi « se remettre en question et être ultra créatif. » Didier compare son travail à celui d’un peintre qui expose ses toiles. Certains aimeront, d’autres non. Tout reste une question de goût et se démarquer n’est pas garant du succès. « C’est subjectif tout ça. C’est ça l’art », termine-t-il.

Rire à tout coup


S’il y a subjectivité, une blague peut-elle garantir un rire ? Chantal croit qu’il n’y a pas de recette établie, mais que les blagues doivent posséder un lieu commun. « L’humour niaiseux, celui qui fait rire du ventre, est rassembleur. Le rire ne s’adresse pas toujours à la liberté d’expression », ajoute-t-elle. Didier pense que bien qu’il y ait des techniques éprouvées, elles n’assurent pas pour autant le rire. Pour Marilou, il n’y a pas de recette magique non plus. Ce qui prime est le travail assidu, l’humilité et le rodage. « Ce qui est différent de plusieurs autres formes d’art, c’est que l’humour se développe et se peaufine quasi uniquement devant public », conclut-elle.

Essais et erreurs


Justement, comment s’effectue un rodage en humour ? Si un humoriste débute dans le milieu et n’a pas la chance d’avoir le soutien de l’école nationale de l’humour, il doit se faire connaître par les bookers, les organisateurs de soirées d’humour. Trouvés sur Facebook, ces bookers, très sollicités, offrent aux humoristes en herbe la chance d’effectuer leurs premiers pas lors de soirées d’amateurs.

Marilou nous dit que les humoristes de la relève commencent souvent par tester leur matériel à coup de 15 minutes. Lorsqu’ils sont plus établis, ils se font confier des numéros pouvant durer jusqu’à 45 minutes. « Il existe aussi de belles tribunes comme le Zoofest ou le Comediha pour la relève », conclut-elle. Questionné à savoir si des soirées comme celles offertes au Bordel Comédie Club aide, Didier explique : « Les humoristes connus se permettent d’y tester un numéro pour la première fois. Mais quand tu n’es pas connu, tu dois l’avoir fait quelques fois avant de le présenter là. (Pour la relève) C’est beaucoup du rodé parce que t’as pas le nom encore. À chaque fois, même au Bordel où les gens connaissent les humoristes de la relève, y en a toujours la moitié qui ne me connaît pas. »

J’aime mon public et mon public m’aime


Mais comment fait-on pour cibler adéquatement son auditoire ? Selon Chantal, ce ciblage se fait inconsciemment. « L’humour doit être démocratique, ça doit rejoindre le plus grand nombre. » À l’opposé, Marilou croit qu’un humoriste doit d’abord et avant tout écrire du matériel qui le fait rire avant de penser à faire rire les autres. « C’est important de ne pas se dénaturer. Il ne faut pas viser un trop large public au début (…) Le premier public d’un humoriste devient son meilleur ambassadeur. »

Didier a quant à lui voulu semer ses graines partout où il le pouvait. « J’allais jouer partout où on voulait de moi (...) Avant, j’essayais de faire attention de ne pas faire certains numéros. Maintenant, je me dis que mon humour, c’est ça, et les gens le prennent ou ne le prennent pas. »

Être connu


C’est dans l’air du temps. La nouvelle génération veut obtenir une certaine reconnaissance de ses pairs. Et ce n’est pas différent chez les nouveaux humoristes. Leurs premiers pas sont faits, ils découvrent leur talent. Des bookers leur ont même offert quelques participations à des soirées d’humour. Maintenant, comment faire pour obtenir la gloire ou à tout le moins, une certaine reconnaissance ?

Selon Marilou, ça dépend toujours de l’objectif premier. « Si on veut devenir un humoriste de scène afin d’avoir un jour son propre spectacle solo, il vaut mieux viser un maximum de soirées d’humour. » Sinon, la combinaison réseaux sociaux, télévision et radio demeure un moyen efficace.

Didier pense aussi que le Web et les réseaux sociaux peuvent jouer un certain rôle pour se faire connaître. Mais, plus pragmatique, il soutient qu’il faut aussi être à la bonne place au bon moment. « Il y a un peu de chance. C’est bête de même. » Il ajoute que la télévision joue encore, en 2016, un rôle clé : « il faut que les gens reconnaissent ma face de plus en plus. Mais mon but n’est pas de faire de la télé, c’est de faire de la scène. Je veux mon one-man show, qu’on se retrouve 2000 ou 3000 personnes à tripper (...) Le fun, c’est pas mal ce qui importe. »

Du fun et du travail, donc. C’est peut-être ça, au fond, la recette gagnante. Malgré tout, je pense qu’on peut affirmer sans l’ombre d’un doute que l’humour, c’est drôlement sérieux.