Ils valent quoi, pour une agence, les prix publicitaires de ce monde ? Discussion sur le sujet en compagnie de deux créatifs publicitaires auréolés : Pacha Ducharme et Normand Miron.

Dans la foulée de tous les Créa, Marketing Awards, Boomerang et autres honneurs (n’oublions surtout pas les Greniers d’or !), il demeure pertinent de se demander quelle incidence les récompenses du milieu publicitaire ont réellement sur la pratique du métier, sur la rentabilité du client… et sur la création.

Café Society, dernier long-métrage de Woody Allen, ouvrait cette année le 69e Festival de Cannes : une quatorzième Sélection officielle Hors Concours depuis 1979 (Manhattan) pour le prolifique cinéaste. Un record cannois en termes de sélections « hors concours » — attribuable au fait que le Woody accepte mal de voir ses œuvres parader en compétition officielle devant jury. « Je ne crois pas qu’on puisse juger [le] travail artistique, déclarait-il en 2015 à la presse française. Qui est habilité à dire que telle œuvre est mieux que telle autre ? » Une question pour le moins pertinente dans une époque où les festivals pullulent et où les remises de prix sont légion. Qu’en est-il alors du côté publicitaire ?

De l’utilité d’un prix

Pour Normand Miron, planificateur, stratégie, créativité et contenu numériques (et collaborateur au Grenier Magazine), la place des remises de prix dans le paysage publicitaire n’a jamais été aussi d’actualité. « Les prix, c’est devenu un business en soi, affirme-t-il. Il n’y a jamais eu autant de remises qu’en ce moment. Cela dit, si les concours existent et perdurent, c’est d’abord parce que des agences y participent. Est-ce que de recevoir un prix d’entreprise ou un honneur individuel peut donner un coup de pouce à ta carrière ? Certainement. Les gens disant qu’il n’y a aucun mérite à remporter un prix, ce sont ceux qui ne les remportent pas. Mais est-ce un gage de la qualité de ton travail ? Ça, pas du tout. »

Normand Miron, Planificateur, stratégie, créativité et contenu numériques
(et collaborateur au Grenier Magazine)

Des clients prédestinés aux prix

Son de cloche similaire de la part de Pacha Ducharme, concepteur chez TAM-TAM\TBWA. « La dichotomie, c’est que ceux qui octroient les prix ne jugent pas les pubs selon leur rendement, affirme-t-il. Personnellement, il m’est d’avis que mon travail est bien fait lorsqu’une campagne publicitaire sur laquelle j’ai travaillé rapporte au client. Je suis toujours surpris de voir qu’une publicité très funky ayant passé trois fois à la radio entre deux et quatre heures du matin, ou encore qu’une campagne photo ayant été publiée une seule fois dans une revue obscure puisse remporter des prix. Pourtant, ça arrive, et plus souvent qu’on ne le croit. » Approbation de Normand. « Il existe définitivement des clients à prix, si je puis dire : des entreprises fougueuses, souvent petites ou en croissance, qui veulent faire parler d’elles. Certes, elles ont moins de budget, mais elles donnent plein contrôle aux créatifs quant au contenu. »

Pacha Ducharme, Concepteur chez Tam-Tam\TBWA
Crédit photo: Raphaël Ouellet

Le produit avant tout

Il semble pourtant y avoir quelques exceptions à la règle. Le dévoilement des derniers prix Créa, par exemple, nous a montré qu’un gros compte comme celui de Loto-Québec, avec l’apport de l’agence Sid Lee, pouvait mettre de l’avant des créations telles que la superbe campagne #tudevraisacheterun649. « Effectivement, poursuit Pacha. C’est un exemple parfait où la création sert le produit. Mais est-ce valable pour tous les types de produits, pour tous les clients ? Je ne crois pas. Dans certains cas, au-delà même de la créativité de ta campagne, ce que tu dois retenir, c’est que ton burger, par exemple, ben il se vend à 4.99 $ cette semaine. Il faut adapter la création aux besoins du client. Et il n’y a pas de trophée pour ce genre de création. »

Les nouveaux trophées

Les proportions gigantesques prises par les campagnes virales sur le Web au cours de la dernière décennie ont aussi modifié la perception du « succès » publicitaire. « Quant à moi, les nouvelles récompenses, c’est le Web qui les décerne, poursuit Normand. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir une agence se réserver quelques milliers de dollars pour créer un appendice publicitaire à sa campagne, lequel se destine au Web dans une forme beaucoup plus éclatée, plus créative. Si le 15 secondes que tu viens de foutre sur Internet devient viral et ramasse deux millions de clics en quelques jours, ça, c’est un méchant trophée ! »