L’événementiel sportif médiatique de la Belle Province possède-t-il un salut en dehors des Canadiens de Montréal? De quelle réalité culturelle la monstrueuse présence médiatique du CH, même en temps de crise, est-elle symptomatique? Discussion sur le sujet en compagnie de Jean-François Dumas, président d’Influence Communications.

La saison (ou le long calvaire, c’est selon) du Bleu-Blanc-Rouge vient tout juste de prendre fin. Enfin! soupirent les fans, dont le chemin de croix s’est amorcé en décembre dernier après la blessure du gardien étoile Carey Price. Un scénario catastrophe que peu de partisans avaient anticipé. Un scénario catastrophe que les tenanciers de bars ont encore sur le cœur, eux qui ont vu l’occupation de leurs établissements chuter dramatiquement lors des soirs de matchs. Un scénario catastrophe, aussi, pour TVA Sports, diffuseur officiel des matchs du CH en séries éliminatoires, qui se voit privé de revenus substantiels. Mais malgré leurs déboires, nos Glorieux ont néanmoins réussi à occuper l’avant-scène médiatique québécoise des 12 derniers mois.

Le Québec est CH

Un exploit qui ne surprend guère Jean-François Dumas, un amateur de sport (et du CH) de son propre aveu, qui voit le même manège se répéter bon an mal an. « Au Québec, les Canadiens de Montréal ont un poids médiatique incomparable, affirme-t-il. C’est encore plus palpable lorsque l’équipe est compétitive, certes, mais reste que toute nouvelle émanant du vestiaire du Centre Bell a le potentiel de se hisser parmi les plus consultées sur les fils de presse. Une blessure à un joueur du troisième trio peut occuper une place médiatique similaire, voire supérieure, à celle d’une annonce politique. » Un phénomène unique au Québec, selon lui? « Disons qu’il est difficile de trouver des comparables, poursuit-il. Dans certaines villes américaines comme Green Bay, où le football est roi, sensiblement la même chose se produit. Mais de voir ça sur une période de 12 mois, même quand l’équipe est inactive, c’est simplement phénoménal. Un vrai phénomène québécois, si je puis dire! »

Jean-François Dumas, président d’Influence Communications

Au-delà du sport

Est-il donc possible d’avoir une diversité médiatique sportive dans un pays où l’équipe des Canadiens est reine et où les autres sports ne sont que valets ? « Difficile pour l’instant, affirme Jean-François Dumas. L’équipe occupe un trône quasi indélogeable. Quelques autres nouvelles sportives viennent bien évidemment créer de petits soubresauts ici et là en cours d’année, comme l’arrivée de Didier Drogba à Montréal en juillet dernier, par exemple, le Grand Prix de Montréal ou encore les matchs hors concours des Blue Jays de Toronto au Stade Olympique. Mais rien qui n’arrive à la cheville de l’attention médiatique portée à la blessure de Carey Price et aux insuccès de l’équipe. » Mais l’empreinte médiatique du CH ne fait pas qu’ombrage aux autres organisations sportives montréalaises. « Ça va bien, bien au-delà du sport, résume Jean-François. Toutes nos actualités, ou presque, passent au deuxième rang. »

L’exception 2015 : Paris

C’est-à-dire? « L’année dernière, les événements ayant couvert le plus d’espace médiatique, et je ne vous surprendrai pas, sont les attentats de Paris, ceux qui sont survenus le 13 novembre dernier, poursuit Jean-François. Les autres sont reliés de près ou de loin aux Canadiens. En 2015, 16 % des grandes thématiques abordées dans les médias québécois étaient reliés aux sports, ce qui leur confère la première position. Et en 2015, toujours au Québec, plus de 70 % des nouvelles du sport ont porté sur l'équipe des Canadiens [NDLR : un petite baisse par rapport à l’année 2014]. En séries éliminatoires, ça grimpe à 90 %! C’est astronomique si l’on compare ça au bruit médiatique que génèrent les Alouettes et l’Impact sur une période d’un an. Les Québécois sont des fans d’événementiel : c’est pour cela que les cotes d’écoute du Superbowl sont toujours bonnes ici, ou encore que l’intérêt démontré envers la Grand Prix de Montréal fait écho dans les médias. Mais ce sont des occasions once in a year. Le CH, lui, c’est un événement qui dure 365 jours par année! »

Un cas de québécentrisme?

Sont-ce donc les médias qui exagèrent sur le traitement médiatique du CH ou s’ils ne font que donner aux partisans ce qu’ils désirent? « C’est l’œuf ou la poule », s’esclaffe Jean-François. Cependant, deux constats s’imposent : le traitement médiatique québécois se distingue des autres dans la mesure où l’on couvre ici moins de sujets, dans l’ensemble, que dans les autres provinces, mais qu’on les couvre de manière plus large. Aussi, nos médias de masse vous diront le contraire, mais il est rare de voir une nouvelle être couverte de deux angles distincts. Nos médias vont généralement tous dans le même sens. Pourquoi? Car ils sont frileux, ils ne prennent que peu de chances. La diversité médiatique est une grande richesse, car elle permet d’enrichir notre écosystème d’informations. Ça nous manque. Ici, 83 % de notre information provient de trois sources : Gesca, Radio-Canada et Québécor. C’est trop peu, malheureusement. Ça nuit à l’innovation.


Article paru dans le Grenier magazine du 11 avril. Pour vous abonner, cliquez ici.