En 1931, le Père Noël troque le verre de lait au profit du Coca-Cola. Portrait de l’une des plus fructueuses rencontres de l’histoire de la publicité.

C’est une véritable histoire de Noël. Pas aussi connue que la Nativité, certes, mais presque aussi miraculeuse. Il s’agit de la petite légende d’une entreprise en mal de ventes qui, par une belle nuit d’hiver, aura vu ses vœux les plus chers être exaucés par le Père Noël en personne. Comme quoi les PDG de Coca-Cola ont dû être bien sages cette année-là… Genèse d’un succès marketing.

États-Unis, 1931. Le pays traverse la plus importante récession du 20e siècle. À l’instar de l’économie, les ventes de boissons gazeuses périclitent. Et, comme à chaque hiver, les nord-américains boudent un peu plus les rafraîchissements sucrés, jugés trop estivaux. Une entreprise d’Atlanta, bien connue sous le nom de la Coca-Cola Compagny, y va alors d’une offensive publicitaire spécifiquement conçue pour revigorer ses ventes hivernales. On confie alors au dessinateur Haddon Sundblom le mandat d’illustrer un « père » Noël aux traits chaleureux et à l’air magnanime. Avec un verre de Coke à la main, bien sûr ! La suite appartient désormais à l’histoire. « Personne n’aurait pu le prédire à l’époque, mais cette image de Père Noël sympathique, rieur et bien portant allait devenir celle que tout le monde garde à tout jamais en tête, affirme Ted Ryan, directeur des communications du patrimoine de Coca-Cola. Le personnage qu’avait dessiné Sundblom était si extraordinaire que le monde entier s’est épris de lui. Comme si nous découvrions enfin le Père Noël que nous avions toujours espéré ! »

Haddon Sundblom, Dessinateur

Un long historique publicitaire


Il est vrai que le Père Noël existait bel et bien dans l’imaginaire collectif avant que Sundblom n’en fasse une image iconique. Celui-ci n’a donc pas été inventé par Coca-Cola, contrairement à ce que raconte une légende urbaine bien ancrée. Les premières illustrations du Père Noël dateraient en fait de 1862 et seraient l’œuvre du caricaturiste Thomas Nast. « Peu de gens le savent, mais, en 1923 ainsi qu’en 1930, le Père Noël apparaissait aussi dans deux publicités de Coca Cola, poursuit Ryan. Elles n’avaient toutefois pas connu le succès rencontré par le portrait de Sundblom. Le personnage était alors dessiné dans le style qu’employait Thomas Nast à l’époque : plus austère, moins attachant. Rien à voir avec le Père Noël rassembleur auquel on pense aujourd’hui. » 
Coca-Cola n’est toutefois pas la première entreprise à avoir mis à profit l’image des Pères Noël de l’époque : des marques comme Texaco, Colgate, Coleman et Michelin ont elles aussi fait endosser leurs produits par le célèbre barbu. « Mais jamais le Père Noël n’aura eu autant d’impact que sous le pinceau de Sundblom, poursuit Ted Ryan. Le slogan de sa première publicité était simple, mais efficace : The pause that refreshes (La pause qui rafraîchît). L’image du charmant vieux monsieur qui boit un coke pour se désaltérer pendant sa corvée de distribution venait alors de naître ! »

Une projection de 1600 milliards $


Avec ses deux pommettes rouges saillantes et sa longue barbe d’un blanc immaculé, le Père Noël de Sundblom donne cours à l’un des grands buzz médiatiques de l’époque. Jusqu’en 1964, l’artiste le fera revivre à travers de nombreuses illustrations publicitaires, dévoilées lors de la période des Fêtes. Ses images du Père Noël sont virales : des créatifs de partout à travers la planète s’en approprient l’esprit, pour reproduire le bonhomme à des fins publicitaires. L’image de ce Santa Claus nouveau genre devient si forte qu’on commence même à l’utiliser dans certains pays n’ayant pas de tradition chrétienne, et ce, pour y promouvoir la vente de cadeaux, de décorations, ou encore d’objets utilisés lors des rassemblements festifs. S’associer au Père Noël valait désormais son pesant d’or, et le phénomène s’est poursuivi avec les années. En 2013, l’équipe de Brand Finance, une firme britannique de consultants en évaluation stratégique et marketing, s’est même amusée à calculer la valeur d’une marque hypothétique portant le nom Père Noël. « Cette marque, si elle existait vraiment, vaudrait pas moins de 1600 milliards de dollars aujourd’hui, affirme David Haigh, PDG de Brand Finance. Un somme qui, ironiquement, vaut près de cinq fois plus que la valeur de la marque 
Coca-Cola! »

Père Noël pour tous


Au cours des 85 dernières années, l’imagerie publicitaire du Père Noël s’est nourrie à tous les râteliers publicitaires : on lui a fait vendre des boissons alcoolisées, des destinations touristiques, voire des cigarettes. Son visage s’est même retrouvé sur des boîtes de préservatifs! Coca-Cola n’est peut-être pas le créateur du Père Noël, loin s’en faut, mais l’entreprise peut à tout le moins se targuer d’être en grande partie responsable de la prolifération de l’emblème bedonnant, et ce, grâce à une mise en marché phénoménale.


Article paru dans le Grenier magazine du 19 décembre 2015. Pour vous abonner, cliquez ici.