«Il est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire et monétaire, parce que si tel était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin.» Cette affirmation du constructeur automobile Henry Ford, telle que citée dans Dette: 5000 ans d'histoire de David Graeber, pourrait à elle seul résumer l'essai.

Graeber conteste les «légendes» sur l'histoire de l'économie véhiculées par certains économistes. Lui-même anthropologue, il décortique l'évolution de nos rapports à la dette. Car si les théoriciens traditionnels tendent à en montrer toute l'intemporalité et l'universalité afin d'en faire ressortir le naturel, l'anthropologue s'efforce à en démontrer plutôt les variantes possibles selon les contrées et, surtout, les retours en arrières cycliques.

«Appliquer une approche macroéconomique que l’on pourrait croire «objective» aux origines de l’économie mondiale, c’est considérer que les comportements des premiers explorateurs, marchands et conquérants européens sont des réactions rationnelles à des opportunités – comme si c’était ce qu’aurait fait n’importe qui dans la même situation.»

Graeber démystifie aussi le mythe du troc. Ce dernier était souvent représenté comme l'ancêtre de nos échanges économiques. Mais le troc n'a jamais vraiment représenté la base des échanges économiques d'aucune société. Adam Smith avait inventé cette fable du troc apparu à la nuit des temps pour illustrer son propos sur les échanges intéressés entre humains.

Le militantisme de Graeber (connu durant Occupy Wall Street) n'engendre pas pour autant une plaidoirie strictement anticapitaliste. Même s'il se montre acerbe sur son rapport aux travailleurs: «C’est le scandale secret du capitalisme: à aucun moment il n’a été organisé essentiellement autour d’une main-d’oeuvre libre.»

À travers les nombreuses mises en contexte, on se rend compte que le concept de dette existe car cela avantage bien des institutions et que si on parvenait à l'enrayer, plusieurs perdraient au change. C'est pourquoi la dette est entretenue, voire gonflée, par les créanciers. Les forts en gueule habituels vitupérant contre l'ampleur de la dette avec des tableaux aussi démagogiques que pernicieux s'égarent quant à l'enjeu de base. La dette est entretenue artificiellement par ceux à qui elle profite. Votre compagnie à de carte de crédit apprécie bien vos retards de paiement car vous les remboursez à un taux d'intérêt supérieur. Cette joute vaut aussi pour les dettes des nations.

Graeber aurait pu s'avérer plus précis sur les tenants et aboutissants de la crise de la dette actuelle. Mais son survol quasi-exhaustif des rapports économiques et domestiques de la dette dans l'histoire saura en éclairer plus d'un. On le souhaite.

Dette: 5000 ans d'histoire
David Graeber Éditions Les Liens qui Libèrent

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Stéphane Plante cumule plus de 20 ans d’expérience en tant qu’animateur, comédien, improvisateur et rédacteur. Il joindre à l'équipe du Grenier aux nouvelles en tant chroniqueur pour décortiquer les bouquins consacrés au monde du travail et à la vie socioécocomique.